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interrogé par le ministre ou en son nom, répond sur les aptitudes professionnelles ou morales d’un inférieur, il fournit un renseignement ; mais lorsque, par un renversement complet de la hiérarchie, c’est l’inférieur qui est interrogé sur son chef, sa réponse est une délation. Or, rien n’a été plus fréquent depuis quelques années, et on a cité un cas dont l’exactitude n’a pas été démentie, où le grand informateur du ministre, par l’intermédiaire de la loge maçonnique, était le bottier du régiment ! La hiérarchie maçonnique avait pris la place de la hiérarchie militaire, et la confiance du gouvernement se mesurait à ses degrés : voilà notre premier grief contre M. le général André. Le second est dans la destruction de la famille militaire que le régiment constituait autrefois. La confiance et la camaraderie entre officiers n’existent plus. Surveillez-vous et dénoncez-vous les uns les autres, leur a-t-il dit, et il est triste de reconnaître que cet enseignement nouveau n’a pas été perdu. Les officiers qui veulent arriver savent que le meilleur moyen de se faire valoir eux-mêmes est de dénoncer les autres. Où doivent-ils s’adresser ? A la loge maçonnique. Nous n’aurions pas osé le dire il y a quinze jours avec la même assurance que maintenant, mais depuis lors les voiles ont été déchirés. M. le général André a trouvé commode de s’adresser, pour être renseigné, à une association qui lui inspirait pleine confiance ; il ne s’est même pas demandé comment et auprès de qui elle se renseignait elle-même. Tout positiviste qu’il est, ou qu’il se vante d’être, il ne s’est pas préoccupé de savoir comment sont composées la plupart des loges de nos villes de province. Les résultats ont été cruels ! Tel officier honnête, correct, loyal, a vu sa carrière brisée par les dénonciations d’un épicier, d’un charcutier, d’un vitrier dont M. le ministre de la Guerre ignore l’existence, mais dont le « très cher frère Vadecard » apprécie la sûreté. Enfin, nous avons un dernier grief contre M. le général André et M. Combes, c’est que, pour enlever par surprise la majorité de la Chambre, ils ont trahi devant elle la vérité. Ils ont protesté qu’ils ignoraient tout ce qui s’était passé : la preuve du contraire est ressortie avec une irrésistible évidence d’une note manuscrite de M. Waldeck-Rousseau.

L’incident est trop significatif pour que nous ne le rapportions pas. Depuis la mort de M. Waldeck-Rousseau, on a publié quelques-uns de ses papiers, qui, par malheur, font plus d’honneur à ses intentions qu’à sa prévoyance, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse en ce moment. Une de ces notes se rapporte directement aux faits révélés par l’interpellation de M. de Villeneuve, qu’elle complète et qu’elle