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considérerait sa responsabilité comme engagée. Les faits étaient exacts, et M. le ministre de la Guerre est resté en place, continuant de dire qu’il les avait ignorés : nous verrons tout à l’heure ce qu’il faut en croire. Quoi qu’il en soit, il ne les a pas défendus, ni même couverts, puisqu’il a accepté la démission de l’officier qui en avait été le principal agent. Il s’est borné à plaider les circonstances atténuantes, en faisant un tableau mélodramatique des dangers qui menaçaient la République au moment où il est entré au ministère. M. le président du Conseil, tout en désavouant des procédés inavouables, a réclamé à son tour, au nom du gouvernement, le droit et le devoir de se renseigner, non seulement sur la valeur professionnelle des officiers auxquels il confiait la protection de la chose publique, mais encore sur leur loyalisme. M. le président du Conseil avait raison ; seulement il ne s’agissait pas de cela. Se renseigner, soit : mais comment et par qui ? C’était là toute l’affaire, et il faut s’en expliquer nettement.

Personne ne conteste au gouvernement le droit qu’il revendique. Dans le jugement à porter sur des officiers auxquels on donne un commandement supérieur, s’il faut apporter une grande largeur d’esprit, il faut mettre aussi beaucoup de prudence. Les qualités ou les défauts du caractère doivent entrer en ligne de compte à côté de ceux de l’intelligence et de la capacité professionnelle. Enfin un gouvernement a le devoir de s’assurer qu’il sera loyalement servi. Ce sont là des vérités de simple bon sens. Tous les gouvernemens, dans tous les pays du monde et à toutes les époques, ont fait à cet égard la même chose ; mais aucun ne s’y est pris comme M. le général André et M. Combes. On leur a dit qu’ils avaient des organes naturels d’information dans les préfets, et même, en certains cas, dans les procureurs généraux. Ce sont là les représentans politiques du gouvernement : c’est donc à eux qu’il doit s’adresser pour se renseigner discrètement et sûrement sur le degré de confiance que mérite un officier. Est-ce que personne a reproché au gouvernement de l’avoir fait ? Non certes, et bien qu’ici encore des abus puissent être commis, ils sont à ce point inséparables de l’institution politique elle-même qu’il faut bien s’y exposer. Un ministre intelligent, et qui connaît ses préfets, sait d’ailleurs ce qu’il convient d’ajouter ou de retrancher à leurs notes confidentielles. Mais où donc M. le ministre de la Guerre est-il allé prendre les siennes ? Un peu partout, dans l’armée et hors de l’armée, sans règle, sans méthode, sans précautions. Dans l’armée, il a introduit le fléau de la délation mutuelle. Lorsque le supérieur,