Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Palais-Bourbon : elle n’était pas encore tombée au niveau du pugilat. La grande majorité de la Chambre a été sincèrement indignée. Toutefois, le ministère n’a pas tardé à s’apercevoir que M. Syveton lui avait rendu un grand service : il ne fallait rien moins que ces gifles pour le relever. M. Syveton a encouru les plus graves sévérités du règlement ; il a été exclu de l’enceinte parlementaire pendant quinze séances. M. le procureur général ayant demandé, en vue de poursuites qu’il se proposait d’exercer contre lui, la suspension de l’immunité qui le couvrait, la Chambre a mis à son acquiescement une hâte inaccoutumée. On comprend très bien que les opposans du centre aient profité de l’occasion pour se débarrasser de M. Syveton et de ses maladresses ; mais le ministère pourrait bien le regretter.

En effet, sans son incartade, le ministère était perdu à très brève échéance. Il avait été si vigoureusement attaqué et ébranlé qu’un dernier assaut devait le renverser, et, certes, les occasions de le livrer ne manquaient pas : nous en indiquerons quelques-unes dans un moment. Mais quel que soit l’incident à propos duquel le ministère tombera, la cause vraie de sa chute plus ou moins prochaine sera le scandale sans précédent que l’interpellation de M. de Villeneuve a fait éclater au grand jour. On savait bien que la délation sévissait sur l’armée : il n’était pourtant venu à l’esprit de personne qu’elle fût pratiquée dans les conditions qui ont été révélées à la Chambre. L’étalage inopiné de ce cynisme tranquille a causé une stupeur dont on n’est pas encore revenu. C’était donc vrai, tout ce qu’on avait raconté de la franc-maçonnerie ? C’était donc vrai que le cabinet de M. le ministre de la Guerre était devenu une annexe et comme un organe inférieur du Grand Orient de France, dont il recevait et exécutait docilement les instructions ? Que de passe-droits, que d’injustices, que d’iniquités ont été les conséquences douloureuses de ce régime odieux et perfide ! Personne n’a essayé de le défendre, du moins à la Chambre, car la franc-maçonnerie a adressé un manifeste à ses adeptes pour revendiquer son droit, affirmer qu’elle avait rempli son devoir, déclarer qu’elle continuerait de le faire, et secouer la torpeur de ses amis qui, un moment déconcertés, n’avaient su que répondre au discours de M. de Villeneuve. L’effronterie de ce manifeste a été dépensée en pure perte. A. la seconde comme à la première séance, les procédés de M. le ministre de la Guerre et du Grand Orient ont été désavoués, condamnés, flétris. M. le général André et M. le président du Conseil ont juré qu’ils ne les connaissaient pas. Le premier a ajouté que, si les faits allégués étaient exacts, il