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Pendant que Camou se porte, avec la brigade Vergé, au secours des bataillons refoulés et dispersés de Wimpfen, Bosquet, fait avancer la division Brunet, qu’il a conservée en réserve dans le ravin de Karabelnaïa ; il lui prescrit de reprendre le Mamelon Vert.

Le 1er bataillon du 86e est en tête. Devant les tambours et les clairons marchent, sabre en main, le colonel Hardy et le lieutenant-colonel de Chabron. Au moment où ils débouchent du ravin de Karabelnaïa, une bombe tombe au milieu des tambours, éclate et les renverse.

Ce n’est rien, nous en verrons bien d’autres ! leur dit Chabron, sans s’arrêter ; battez la charge !

Ceux qui ne sont que blessés se relèvent et battent la charge !

Le colonel Hardy forme ses six compagnies en colonne par peloton et, levant son sabre, dominant de sa haute taille tous ces petits soldats qu’il a tant de fois électrisés par son exemple, il s’écrie :

En avant le 11e léger !

D’un bond, on franchit les trois lignes d’embuscades ; puis on gravit les rampes du Mamelon Vert, pour aborder, à la baïonnette, les grenadiers et les marins du vaillant Khrouleff, massés dans la lunette Kamtchatka derrière un monceau de cadavres français et russes. Le porte-drapeau du 86e tombe ; Hardy ramasse le glorieux emblème, tant de fois troué par les balles kabyles, le brandit et le plante dans la lunette Kamtchatka ; elle est prise !

Cette fois, c’est la victoire définitive ; pour le colonel du 86e, ce sont les étoiles, le retour glorieux dans Uzès en fête, la chère famille retrouvée, les joies du foyer ! Non, c’est la mort ! Ses soldats se sont élancés jusqu’à la crête qui fait face à Malakoff ; il leur semble qu’il n’y a qu’un dernier effort à faire, qu’une courte distance à franchir pour pénétrer dans cette forteresse, dont la prise sera la fin des souffrances et des dangers ; d’une commune voix, tous crient :

A Malakoff !

Hardy les a entendus ; l’ordre de Pélissier est formel, on ne doit pas dépasser le Mamelon Vert. Il parle aux soldats, il les arrête, quand une rafale de mitraille fait une large trouée parmi ces braves.

Oh ! mon Dieu ! dit le colonel Hardy, en portant la main à sa poitrine.