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des Carrières en avant du Grand Redan. Une division turque était en réserve derrière la division Dulac.

Quand les bataillons français, en grande tenue, drapeaux déployés, tambours battant, musique sonnant, traversèrent le camp anglais, ils furent accueillis par des hourras frénétiques, auxquels ils répondirent par de joyeuses acclamations. La fraternité d’armes renaissait à l’approche du danger !


A six heures et demie, au signal de six fusées multicolores parties de la batterie Lancastre, où se tient le général Bosquet, les têtes de colonne s’élancent hors des tranchées.

La division Mayran franchit, en courant, les 300 mètres qui la séparent des Ouvrages Blancs. Les brigades de Lavarande et de Failly s’emparent chacune d’une redoute (Volhynie et Selenghinsk) et s’y installent ; elles n’en seront plus délogées.

Camou dirige l’attaque du Mamelon Vert ; il a formé la brigade Wimpfen en trois colonnes : à droite, les tirailleurs algériens, au centre, le 50e, à gauche, le 3e zouaves.

C’est entre ces vieux soldats d’Afrique une émulation de vaillance irrésistible ! Sous les balles et la mitraille, ils parcourent 450 mètres d’un sol raviné par les embuscades, les fougasses, les bombes, et ils se rallient dans le fossé de la lunette Kamtchatka, à demi comblé par le bombardement de la nuit et de la journée.

Les turcos tournent l’ouvrage par la gorge ; les zouaves et les fantassins en escaladent les faces. Le colonel de Brancion est tué en plantant le drapeau du 50e au saillant du parapet.

Après un terrible corps à corps, les défenseurs du Mamelon Vert battent en retraite et se réfugient dans Malakoff.

Les clairons des zouaves sonnent la victoire ; mais les vainqueurs, grisés par l’odeur de la poudre, poursuivent les Russes, et leur élan irréfléchi est brisé par la mitraille. Il faut s’arrêter, chercher un abri dans les trous-de-loup, les embuscades et jusque dans le fossé profond de Malakoff.

Le général Khrouleff sort du faubourg Karabelnaïa avec six bataillons de réserve, marche résolument sur le Mamelon Vert, reprend la lunette Kamtchatka, où une fougasse vient d’éclater, et chasse les Français du terrain ensanglanté qu’ils ont conquis.

C’est à recommencer ; mais rien ne saurait décourager des généraux de la trempe de Bosquet et de Camou.