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canons, qui ne nous impressionnent pas plus que les canons de sureau des enfans.

Nos deux belles divisions, à l’effectif de 15 000 hommes, sont parfaitement campées. Mon 86e est tout près de l’excellent Canrobert, qui décidément a un faible pour lui. Nous nous appelons désormais corps d’opération de la Tchernaïa. Cette expédition heureuse ne nous a coûté qu’un capitaine de chasseurs d’Afrique, tué en abordant le camp russe, et quelques cavaliers, tués ou blessés par une sotnia de cosaques qui les avait pris à revers, mais qui a été bientôt mise en fuite par les zouaves de la 1re division. Ces zouaves ont pillé et saccagé le camp russe et fait un gros butin, composé de brillans uniformes d’officiers, d’argenterie et de beaux nécessaires de campagne, venant en droite ligne des meilleurs magasins de Paris. Ces diables de zouaves sont intrépides au combat comme au pillage !

Nous sommes restés paisibles spectateurs de ce combat de quelques heures, jouissant d’un ravissant coup d’œil et d’une atmosphère embaumée, d’autant plus vivifiante que nous sortions d’un cloaque infect.

Mon brave 11e léger a-t-il assez payé sa dette à ces horribles tranchées ! 467 hommes tués, blessés ou disparus en deux mois et demi ; c’est de la gloire qui coûte cher !

Je ne sais rien des opérations ultérieures, mais tout le monde ici a la conviction que Pélissier ne laissera ni trêve ni repos à l’ennemi, qu’il prendra Sébastopol, Kertch, Yalta, etc., et qu’il finira la campagne en cinq ou six semaines, au plus grand honneur des armes françaises ! Nos alliés ne demandent, comme nous, qu’à batailler. Si les Russes s’étaient montrés hier, nous les aurions taillés en pièces, eussent-ils été 40 000 ! Mais ils n’osent nous aborder, et c’est très fâcheux ; on en finirait plus tôt !

Je m’arrête, car nous sommes à peine installés, et j’ai à m’occuper sérieusement de tous les détails du service en campagne. Nous respirons à pleins poumons ce bon air de prairie et de feuillage, dont nous avons été si longtemps privés ; c’est un bonheur indicible !

Mes coquins de chevaux font les cent dix-neuf coups ; les pâturages sont si beaux sous leurs pieds !

J’entends une grande rumeur et des cris dans le camp. Qu’est-ce donc ? Un millier de soldats, de toutes armes,