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reconnaissance offensive décampèrent le 25 mai et s’acheminèrent vers le pont de Traktir.


Félix Hardy à sa femme.


« Au camp de la Tchernaïa, 26 mai.

« Notre expédition d’hier s’est parfaitement passée.

Les divisions : Canrobert et Beuret (1re et 5e du 2e corps) ont franchi sans obstacle la Tchernaïa, charmante rivière qui nous sépare de l’armée russe de secours. Quelques escadrons, soutenus par la 1re division du 2é corps, ont gravi la pente opposée de la magnifique vallée où coule la rivière et ont trouvé sur la crête un joli camp retranché, gardé par 600 hommes d’élite, qui sont venus résolument au-devant de notre cavalerie.

En un tour de main, ils étaient mis en déroute, leur camp était saccagé et détruit.

On est resté en position, pendant plusieurs heures, sous le feu de quelques méchantes batteries qui n’ont atteint personne. Comme 40 000 Russes sont campés aux environs et que nous n’avons pas l’intention de les faire déguerpir, nous avons repasse la rivière.

Ce soir, nous campons sur la rive gauche de la Tchernaïa, en face de l’ennemi, tout prêts à le bien recevoir s’il ose nous attaquer. La rivière est à nous, ainsi que la ravissante vallée où elle coule. Avec quelle joie nous avons quitté nos affreux camps empestés et ces abominables tranchées, pour occuper des coteaux couverts d’herbages et de jeunes pousses de charmes, de chênes, etc. Le paradis après l’enfer !

Nous voilà revenus aux opérations d’Afrique, dont j’ai la grande habitude ; c’est une existence très tolérable, bien qu’elle soit assez fatigante quand on a devant soi un ennemi harceleur et entreprenant. Les Russes ont beaucoup de canons, mais ils sont loin d’avoir l’opiniâtre activité des Kabyles.

Nous avons passé une nuit délicieuse, que rien n’a troublé ; c’est à peine si le bruit lointain du canon de Sébastopol est venu jusqu’à nos oreilles !

On croyait la Tchernaïa défendue par des milliers de redoutes hérissées de canons de tous calibres. En réalité, il n’y a en face de nous et hors de portée de notre camp que Gringalet et Bilboquet, deux petites redoutes, armées de deux ou trois