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Le personnel de mon camp se compose du lieutenant-colonel de Chabron[1], du docteur Goutt, de mes treize sapeurs de nos ordonnances et de dix chevaux et mulets, que nous avons bien installés dans des écuries, creusées dans le roc qui environne notre camp. Notre table à manger peut tenir huit personnes, quoique nous ne soyons que trois à vivre ensemble. J’ai, de temps à autre, quelques officiers nouvellement promus, à qui j’offre un déjeuner assez confortable, avec d’excellent pain blanc. Nous l’échangeons avec les cantiniers, à raison de deux pains de munition pour un pain blanc, qui suffit à nos besoins. Entre nous trois, nous touchons huit rations de toute nature, lard, sel, légumes secs, riz, sucre, café et pain ou biscuit. Parfois, nous recevons de la viande fraîche à titre remboursable ; mais tout cela est insuffisant et bien peu d’officiers peuvent s’en contenter. L’administration est approvisionnée de conserves et de vins fins, qu’on donne sur bons remboursables. Ce sera un morceau dur à avaler quand il faudra payer. À notre popote, nous sommes raisonnables et nous en serons quittes pour trois ou quatre cents francs ; mais il y a de malheureux officiers, fort indiscrets du reste, qui n’ont vécu, jusqu’à présent, que de pâtés de foie gras, de petits pois, de vin de Bordeaux et de Champagne ; leurs appointemens de quatre mois ne suffiront pas à payer leur quote-part.

Joseph nous fait une bonne cuisine ; le sapeur qui nous sert, le brave Riolland, est le marin que notre Édouard aimait tant à Marseille.

Ce qui nous ruine, c’est le vin d’ordinaire, que les cantiniers nous vendent 1 fr. 50 le litre au prix de revient. S’il fallait l’acheter à Kamiesch ou à Balaclava, nous le payerions 2 fr. 25 au moins. Celui que l’administration nous donne, de temps en temps, par ordre du général en chef, ne nous coûte que 14 ou 15 sous le litre et il est ordinairement très bon ; il ressemble beaucoup au vin d’Uzès.

Le café de distribution est délicieux, le sucre bon ; mais la ration est si minime qu’elle ne suffit pas à sucrer une demi-tasse. Nous en achetons de meilleur à 18 ou 20 sous la livre.

Les poules sont devenues très abondantes dans nos camps ; mais elles meurent de gras fondu. Nous en avons perdu, en

  1. Qui avait remplacé le lieutenant-colonel Decaen, promu colonel du 7e de ligne.