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le délégué du Saint-Siège, dont ils allaient jusqu’à discuter les droits et l’autorité, et le représentant du gouvernement américain. Il fallait ensuite arriver à une estimation des biens appartenant aux moines, et la tâche était malaisée ; au lieu de se trouvera en face des procureurs des ordres religieux, sur qui s’étendait la juridiction du Saint-Siège, on se trouvait en présence de trois grandes compagnies d’exploitation qui, à titre de locataires ou de fermières, détenaient les terres des religieux. Les évaluations résultèrent d’une enquête faite par M. Taft et Mgr Guidi qui, en personne, entendirent tous les témoins capables de les éclairer et discutèrent contradictoirement. Après de longs pourparlers, Mgr Guidi diminuant beaucoup ses prétentions, M. Taft élevant un peu ses offres, l’entente finit par se faire sur une somme de 7 543 000 dollars or à payer par le gouvernement aux ordres religieux, comme prix du rachat de leurs biens fonciers. Ces terres, le gouvernement des États-Unis commença aussitôt à les vendre aux tenanciers qui les cultivaient ; cette opération n’était pas encore achevée au moment où M. Taft rédigeait son dernier rapport ; mais, lorsqu’elle sera terminée, les Américains auront éliminé peu à peu les moines espagnols et donné une solution à la question agraire. Le remplacement des religieux espagnols, dans le service paroissial, par un clergé américain ou philippin s’opère rapidement : tous les évêques sont actuellement américains. Quant aux moines espagnols, de plus de mille qu’ils étaient en 1898, ils n’étaient plus, à la fin de 1903, que 246, en y comprenant les vieillards, les malades, les infirmes. Les dominicains, renonçant au service paroissial, se sont adonnés uniquement à l’enseignement ; les autres ont quitté le pays et sont allés soit en Espagne, soit dans l’Amérique du Sud. Ainsi cette force sociale considérable que l’Eglise catholique représente aux Philippines a cessé d’être hostile à l’ordre de choses nouveau issu du traité de Paris. Les Américains comptent qu’elle deviendra entre leurs mains un puissant instrument de progrès et d’éducation, et la plus précieuse collaboratrice de leur œuvre de pacification et de civilisation.

Désorientée par tant de si brusques et de si profonds bouleversemens, l’Eglise des Philippines était en outre menacée par l’extension du mouvement schismatique, qui ne tendait à rien moins qu’à constituer, dans l’archipel, une église nationale indépendante de Rome. Il était grand temps qu’une intervention