Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Églises, sans liens directs avec l’État, mais également respectées par lui et réellement libres dans leur action bienfaisante, se trouvaient, par le hasard de la politique et de la guerre, devenir souverains du pays où l’enchevêtrement de l’Eglise et de l’Etat était peut-être le plus inextricable. Les droits de l’Etat espagnol passant à l’Etat américain, celui-ci se trouvait en face du plus complexe et du plus délicat des problèmes. Le départ entre les deux pouvoirs était devenu, par suite d’une longue collaboration, presque impossible à opérer. Un très grand nombre d’institutions de charité, d’enseignement, étaient aux mains du clergé et, parmi celles-là, il était devenu très difficile de distinguer celles qui, originairement, étaient des fondations de l’Etat, et celles qui étaient effectivement la propriété de l’Eglise. En outre, les églises, dans chaque pueblo, étaient établies sur des terres publiques, dont le domaine éminent passait à l’Etat américain ; pour leur construction, l’État espagnol avait donné des subventions, et l’État américain héritait des droits qui en résultaient pour l’État espagnol. Sur ce point, M. Taft considéra « que, si le titre légal de propriété appartient au gouvernement, le titre réel appartient aux catholiques de la paroisse. » Cette difficulté, dans certains pueblos, se trouvait compliquée encore par les droits que revendiquait la commune. La question des terres n’était pas moins ardue à résoudre : les titres de propriété des moines étaient parfaitement valables, mais, presque tous, ils avaient été chassés de leurs domaines et dépouillés de leurs droits par la révolution ; depuis 1896, les redevances et les fermages ne leur étaient plus payés. Si, leurs titres de propriété à la main, ils réclamaient justice au gouvernement américain, comment la leur refuser ? et si, d’autre part, ils rentraient dans leurs propriétés et dans leurs paroisses, terrible serait le mécontentement du peuple ; l’insurrection en deviendrait plus redoutable. Les conséquences de la guerre rendaient la situation encore plus embrouillée. Les Américains s’étaient servis des bâtimens consacrés au culte pour y loger temporairement leurs troupes ou leurs prisonniers, ils reconnaissaient devoir de ce chef une indemnité : d’autre part, certains curés avaient favorisé les insurgés ; d’autres avaient fait eux-mêmes le coup de feu et vécu dans la brousse. Enfin, outre ces difficultés matérielles énormes, se posaient encore des problèmes d’un ordre différent : comment arriverait-on à habituer les esprits au