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natifs à devenir, par la suite, capables de se gouverner eux-mêmes. Une politique de réconciliation, de rapprochement et de mutuelle assistance peut seule assurer la paix et la prospérité du pays par la collaboration des deux peuples.


II

Avant de pouvoir appliquer librement et réaliser sans entraves un si séduisant programme, les Américains avaient un double obstacle à surmonter. Il fallait obtenir une pacification aussi complète que possible et, en même temps, vaincre les résistances que les passions et les rivalités de parti opposaient, aux États-Unis même, à la politique préconisée successivement par les présidens Mac-Kinley et Roosevelt et appliquée sur place par le gouverneur Taft. C’est donc d’abord à la force des armes qu’il fallut recourir. Du jour où ils furent bien résolus à dompter l’insurrection, les Américains eurent l’énergie de prendre les moyens les plus radicaux, persuadés qu’ils sont les plus expéditifs, et partant les plus humains, et de les appliquer sans faiblesse ; plus leurs proclamations se faisaient pacifiques et libérales, plus terrible devenait la répression ; les Américains s’indignaient de la durée d’une lutte qui leur apparaissait comme un démenti flagrant à leur politique ; ils s’irritaient de voir leurs intentions méconnues, leurs bienfaits méprisés ; et plus leur conscience leur rendait à eux-mêmes témoignage de leur bonne volonté, plus ils se montraient impitoyables aux récalcitrans et acharnés à les réduire. Ce fut une rude guerre, rude aux Américains combattant dans l’atmosphère étouffante des marais et des bois, sous le terrible soleil des tropiques, dévorés par les fièvres et la dysenterie, toujours sur le qui-vive, exténués par une guerre d’escarmouches contre un ennemi insaisissable qui les fusillait, à couvert ; rude aussi aux Tagals, traqués de refuge en refuge, chassés au fond des forêts, s’acharnant sans espoir à une lutte sans merci. Des deux côtés, les pertes furent cruelles. En une seule année, de mai 1900 à juin 1901, on estime que les Philippins perdirent 3 854 tués, 1 193 blessés et 6 572 prisonniers. En septembre 1900 les Américains avaient déjà perdu 598 tués, 364 morts des suites de leurs blessures, 1 631 morts de maladies, 2 343 blessés ; ils avaient dépensé 4 milliards de francs et dépensaient encore 4 millions par jour.