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une intimité que les habitudes de la vie de Monsieur[1] rendaient chaque jour plus nécessaire. Il n’y avait plus de mérite d’ailleurs à se trouver sans cesse chez Mme de Balbi. La mode s’était déclarée pour elle. Elle voyait la meilleure compagnie en hommes et en femmes, et sa maison, dont elle faisait les honneurs d’une manière noble et aisée, était devenue l’une des plus agréables de Paris. Ne voulant pas m’en tenir à lui rendre des soins dont elle pouvait se dispenser de me savoir gré, je l’accompagnai bientôt dans un voyage qu’elle fit en Angleterre. Enfin cette liaison de nécessité, d’habitude et de société était telle alors qu’il n’a pas tenu à moi qu’elle n’en soit devenue une d’amitié sincère. »

Il résulte clairement des pages qu’on vient de lire qu’à l’époque à laquelle elles se rapportent, c’est surtout à Mme de Balbi que d’Avaray doit le vif intérêt que lui témoigne Monsieur. Mais, vienne la Révolution, elle lui fournira l’occasion de rendre à son maître un service éclatant. L’intérêt de celui-ci se transformera en une solide amitié et d’Avaray pourra se flatter de ne la devoir qu’à lui-même.

Au mois de juin 1791, Louis XVI et sa famille, résolus depuis plusieurs semaines à se soustraire par la fuite aux périls qui les environnaient comme aux outrages dont ils étaient abreuvés, préparaient dans le mystère l’exécution de leur projet. Le Comte d’Artois, sa femme, ses fils, les princes de Condé, les tantes du Roi étaient déjà hors du royaume. Seul, Monsieur, « fixé par le devoir auprès de son malheureux frère, » était resté dans Paris, attendant son signal « pour briser les fers qu’ils portaient ensemble. » Il disposait, peu à peu, toutes choses en vue de son départ et de celui de Madame, qui ne l’avait pas quitté.

Sa décision prise et confiée à la comtesse de Balbi, convaincu de la nécessité de se donner un compagnon vaillant et dévoué, il avait dû chercher dans son entourage un homme de cœur capable de l’aider dans ses préparatifs et de lui servir de défenseur et d’appui pendant sa route. Tout d’abord le nom de d’Avaray s’était présenté à son esprit. Puis, hésitant à s’adresser à un si jeune homme, répugnant à le séparer de ses parens qui continuaient à habiter Paris, à l’exposer aux dangers que lui-même allait courir, il avait fait auprès d’un autre officier de sa maison une tentative restée vaine, celui qui en était l’objet s’étant effrayé non des

  1. « Ce prince, soit à Versailles, soit à Paris, passait la moitié de la journée chez Mme de Balbi. » Annotation de d’Avaray sur son manuscrit.