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d’expliquer l’immense faveur dont le Comte de Provence, avant comme après son avènement, ne cessa de prodiguer à son ami d’indéniables témoignages.


II

Pour en faire saisir les causes, il faut remonter jusqu’à l’époque où, « âgé de dix-huit ans, avec une jolie figure, des parens aimés et estimés », François de Béziade, comte d’Avaray, arrivait à Versailles désireux de faire sa carrière dans l’armée. C’était en 1775. « Monsieur qui aimait mon père, raconte-t-il[1], me plaça promptement auprès de sa personne, en sorte qu’attaché à lui par devoir et le voyant sans cesse, je le fus bientôt par le sentiment autant que par la reconnaissance. »

À cette époque, le Comte de Provence, quoique marié comme son frère le Comte d’Artois à l’une des filles du roi de Sardaigne, commençait à distinguer la toute jeune et sémillante comtesse de Balbi, née Caumont La Force, femme d’un gentilhomme génois, de qui elle devait se séparer à cinq ans de là, à la suite d’une attaque d’aliénation mentale dont il avait été frappé et qui avait obligé sa famille à le faire enfermer.

« La comtesse de Balbi, dit encore d’Avaray, était entrée dans le monde sous des auspices peu avantageux. Des circonstances absolument hors de mon sujet, en lui donnant auprès de Madame (la Comtesse de Provence) la place de dame d’atours jusque-là occupée par Mme de Lesparre, lui avaient attiré un grand nombre d’ennemis auxquels sa situation était trop faible pour pouvoir longtemps résister. Avec une tournure agréable, beaucoup d’esprit, de chaleur, d’énergie et d’intrigue, elle était parvenue, au bout de quelques années, à se donner un nouveau maintien. Les bontés de Madame avaient été échangées contre celles de Monsieur, en sorte que la faveur de ce prince qui en avait fort peu alors était devenu son appui contre les dégoûts sans nombre que la Reine et la Cour lui prodiguaient. Quelques liaisons galantes et les entours de Monsieur étaient sa seule ressource indépendante du prince qu’elle avait séduit. Les femmes ne la voyaient pas ou détournaient la tête à son approche ou fuyaient sa rencontre. »

  1. Rapports du comte d’Avaray.