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Et, en opposition à ce type « italien, » chacun des trois morceaux de la sonate « allemande » était divisé lui-même en trois parties absolument distinctes. Etant donné un motif initial en ut majeur, lorsque la série des modulations avait amené le ton voisin ou le mineur du ton, l’auteur, après les deux barres, se livrait à un travail nouveau d’élaboration, pour lequel il avait toute liberté d’inventer de nouveaux motifs ou bien de varier, d’analyser ou de resserrer, les motifs de la première partie ; mais il était tenu de ramener ensuite le motif principal dans le même ton qu’au début du morceau, et de reprendre alors toute la première partie, en se maintenant désormais jusqu’au bout dans ce même ton. Si, dans la première partie, il était allé du ton d’ut majeur à celui de sol majeur, il était tenu, après le da capo de revenir d’abord de sol majeur à ut majeur, et puis de reprendre, en ut majeur, toute la première partie, mais cette fois de façon à conclure dans le même ton. Ainsi son morceau était régulièrement composé de trois sections, dont la seconde, constituant comme un intermède libre entre deux parties « obligées, » devait avoir sensiblement la même étendue et la même importance que les deux autres. Et cet intermède, qui a plus tard reçu en France le nom, assez inexact, de développement, appartenait en propre à la sonate « allemande. » Je dois ajouter cependant que, chez les musiciens médiocres, — tels qu’un Léopold Mozart, — il n’était souvent encore qu’une transition, dont ils avaient hâte de se débarrasser pour amener, par une brillante rentrée, la reprise, plus ou moins variée, de la première partie ; mais les maîtres du genre, au contraire, commençaient déjà à voir dans ce développement le centre vivant du morceau tout entier ; et, bien loin de ne le considérer que comme une transition, c’était là que, en pleine liberté, ils approfondissaient l’expression, multipliaient les trouvailles mélodiques, rythmiques et harmoniques, attestaient leur science ou donnaient cours à leur fantaisie. Avec ses trois morceaux divisés en trois parties égales, leur sonate était un monument artistique de l’équilibre le plus harmonieux, élégant et solide, simple et divers, capable de traduire toutes les nuances des passions, et de les revêtir toutes d’une commune beauté.

Ce type de sonate avait d’ailleurs été créé par deux très grands hommes, les deux hommes en qui s’était le plus complètement incarné le génie musical de l’Allemagne durant la première