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Enfin, par Liège, Tirlemont et Louvain, on était arrivé à Bruxelles, où résidait alors, en qualité de gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, le bon prince Charles de Lorraine, frère de l’empereur François Ier. Ce prince, lui aussi, s’était tout de suite intéressé aux petits virtuoses, et avait exprimé le désir de les entendre. Mais, de même que la princesse Amélie, « il n’avait pas d’argent. » Si bien que Léopold Mozart, dans l’attente d’une séance au palais, se vit contraint à prolonger durant plusieurs semaines son séjour à Bruxelles, n’osant « ni repartir pour Paris, ni même donner un concert public. » Et ce fut là que le pauvre homme reconnut, et dut avouer à son commanditaire salzbourgeois, que, bien loin de lui rapporter les grosses sommes espérées, la première partie du voyage avait été pour lui plus désastreuse encore que le voyage de Vienne.

Déjà le 21 septembre, de Coblence, il avait écrit à Hagenauer : « Que direz-vous quand je vous apprendrai que, depuis notre départ de Salzbourg, nous avons dépensé 1 068 florins ? Heureusement, cette dépense, ce sont d’autres qui l’ont payée pour nous ! » Hélas ! c’étaient surtout les excellens Hagenauer qui avaient eu à « payer cette dépense ; » et l’on ne peut s’empêcher de penser à « ce qu’ils dirent » quand, le mois suivant, ils reçurent de leur ami le pitoyable appel de fonds que voici :


Je suis très en peine pour le paiement de nos dépenses à Bruxelles et de nos frais de route jusqu’à Paris, qui vont me couler au moins 200 florins. Il est vrai que mes enfans ont été comblés de cadeaux précieux : mais je ne puis me résoudre à les monnayer. Wolfgang, par exemple, a eu deux magnifiques épées, l’une de l’archevêque de Malines, l’autre du général comte Ferraris. A Marianne l’archevêque a donné des dentelles flamandes, tandis que d’autres lui ont fait cadeau de mantes, bijoux, etc. Des tabatières, étuis, et autres petites choses semblables, nous pourrions bientôt en monter une boutique. Et déjà nous avons à Salzbourg une cassette toute remplie de trésors du même genre. Mais, en fait d’argent, je suis très pauvre. J’ai bien l’espoir que, lundi, où aura lieu un grand concert, je pourrai faire une abondante récolte de louisdors et de doubles thalers ; mais, comme on doit toujours prendre ses précautions, j’aurai à vous demander de m’envoyer de suite une nouvelle lettre de crédit.


Ainsi, pour Léopold Mozart, tout le voyage à travers l’Allemagne n’avait guère été qu’une suite de déboires. Mais pour son fils, en revanche, il n’y avait pas eu un seul incident de ce voyage, depuis l’arrêt forcé à Wasserbourg jusqu’à l’arrêt forcé à Bruxelles, qui ne fût une cause vraiment miraculeuse à la