Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y avait formé ; et il admirait si fort le génie de l’Allemagne que, plus tard, de retour dans sa patrie, il fut accusé par ses compatriotes d’être lui-même devenu un compositeur « allemand : » accusation qui nuisit au succès de ses dernières œuvres, Armide, Demofont, et le pathétique Miserere pour deux voix et orchestre[1]. Celui-là aussi, comme Eberlin à Salzbourg, comme bientôt à Paris Jean-Philippe Rameau, que de choses il aurait pu apprendre au petit Mozart, si la « fatalité, » — pour employer l’expression de Léopold Mozart, — tout en les rapprochant l’un de l’autre, ne leur avait interdit de se rencontrer !

Les voyageurs purent du moins entendre, à Ludwigsbourg, un des meilleurs artistes de la chapelle de Stuttgart : le violoniste Pietro Nardini. Élève de Tartini, et auteur lui-même de charmantes sonates, c’était un virtuose si remarquable que Léopold Mozart, en l’entendant, faillit se départir de son mépris pour les Italiens. « Pour la beauté, la pureté, l’égalité du son, et dans le goût chantant, personne ne le dépasse, écrit-il à Hagenauer ; mais il n’a rien joué de très difficile. » Et quant à Wolfgang, la rencontre de Nardini dut être pour lui une source nouvelle d’instruction et de plaisir, d’autant plus que lui-même, à ce moment, se livrait avec un redoublement de zèle à l’étude du violon. Le jeu du maître florentin venait à son tour lui dévoiler un aspect de cette beauté lumineuse et « chantante » que n’avait guère pu lui faire soupçonner, jusque-là, le sec et minutieux enseignement de son père.

Mais la journée la plus délicieuse de tout ce voyage à travers l’Allemagne dut être à coup sûr, pour lui, celle du 18 juillet, passée tout entière au château et dans le parc de Schwetzingen, la résidence d’été de l’électeur palatin Charles-Théodore. D’une bonté peut-être moins familière et moins expansive que son cousin l’électeur de Bavière, à qui il allait bientôt succéder, ce prince était, en revanche, un des esprits les plus cultivés de son temps ; à la musique, en particulier, qu’il aimait avec passion, il apportait un goût très délicat et très sûr. Tout de suite il fut si charmé du génie de l’enfant prodige qu’il commanda en son honneur, ce 18 juillet, une grande « académie, » qui occupa toute la soirée, de cinq heures à neuf heures. Jamais encore Wolfgang n’avait été à pareille fête. Il y entendit des chanteurs

  1. Œuvres où, en vérité, l’influence française de Rameau était plus sensible encore que celle des musiciens allemands.