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principale source d’information sur l’une des périodes les plus importantes de la vie de Mozart. Lettres toutes remplies de renseignemens précieux, d’anecdotes, de portraits, d’allusions aux mœurs et coutumes des divers pays visités par les voyageurs ; et chaque ligne y atteste la parfaite véracité de l’homme qui les écrivait : mais encore ne doit-on pas oublier, pour en bien saisir la portée et le caractère, qu’avec leur ton amical, et parfois même un peu protecteur, ces lettres de Léopold Mozart aux Hagenauer sont, avant tout, quelque chose comme les rapports d’un imprésario en tournée à son bailleur de fonds.

Grâce donc à l’argent des Hagenauer, Léopold Mozart s’était vu en état de quitter Salzbourg aussi noblement que pouvait le désirer son âme innocente de bourgeois manqué. Plus de ces chaises de poste, diligences, coches d’eau, de ces moyens de transport économiques et grossiers dont il avait dû se contenter, l’année précédente, pour le voyage de Vienne ! Il était maintenant possesseur d’un magnifique carrosse, ample, moelleux, aéré, le mieux fait du monde pour « l’entretien de la santé » des deux petits virtuoses. Il avait à son service un courrier, presque un intendant, un très intelligent jeune garçon nommé Sébastien Winter, qui allait lui être infiniment utile pour la location des chevaux, les arrêts dans les auberges, et l’organisation des séances publiques. Il s’était muni de lettres de recommandation innombrables, à l’adresse de toute sorte de personnages influens de France et d’Angleterre, ministres, ambassadeurs, prélats, valets de chambre. Et ce n’était pas tout. Peu s’en fallait que l’heureux homme n’eût le droit de se considérer lui-même comme un personnage, l’exécuteur d’une grave mission confidentielle : son souverain, le prince-archevêque de Salzbourg, ayant daigné lui demander expressément une relation écrite de l’accueil qui lui serait fait à la cour de Versailles. Si bien que les petits yeux gris de Léopold Mozart devaient rayonner d’orgueil et de plaisir lorsque, dans la matinée du 9 juin 1763, le noble carrosse, ayant franchi la Clausenthor et dépassé le couvent de Mülln, s’engagea au galop de ses quatre chevaux sur la route de Bavière. Adieu, sainte et chère église de Maria-Playn, toute blanche sur sa colline au soleil du matin ! Adieu Salzbourg, avec sa forteresse, ses clochers, et les toits fleuris de ses hautes maisons, mais aussi avec la monotonie de ses humbles tâches et de ses distractions anodines ! Libérés de sa