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couvercle plat ou légèrement bombé qui est le ciel. Puis la forme du monde paraît bien grande pour un seul corps. Alors la tombe est bâtie comme la demeure des dieux, comme le temple, dont elle a les frontons, les acrotères, le toit aux deux pentes, les colonnes. Puis elle devient simplement une maison, avec son toit de tuiles imbriquées, représentée dans le marbre ou la pierre, avec sa porte, ses ornemens familiers, ses guirlandes. Un jour, pourtant, on s’avise qu’une maison tout entière, c’est beaucoup pour un corps qui ne bouge plus de sa couche, et les murs disparaissent, le fronton s’effondre, les colonnes rentrent sous terre et, de la maison disparue, il ne reste plus que le lit, — le lit où, à demi couché, appuyé sur le coude, le personnage étrusque se tient souriant, sans qu’on puisse bien deviner si c’est pour festoyer ou pour reposer du repos éternel.

Longtemps, ce lit est véritablement le meuble de la maison des vivans, comme le montre, jusqu’à l’évidence, le couvercle du fameux sarcophage de Vulci ; mais, peu à peu, il se transforme. Il devient, au moyen âge, le lit d’apparat, sur lequel on hisse le chevalier ou la dame, l’évêque ou l’humaniste, dans leur costume de cérémonie, absolument comme dans l’exposition publique de leur corps, après la mort. Et ce lit, très haut pour les uns, avec des baldaquins et des courtines, s’abaisse pour d’autres, s’abaisse jusqu’au tapis de Turquie sous l’admirable Galileo de Galileis qui est à l’entrée de Santa-Croce à Florence ou l’Acciajuoli, qui repose au haut de la colline, à la Chartreuse d’Ema. Il s’abaisse encore plus, devient une simple plaque gravée dans le monument de Joris de Munter et de sa femme, à Bruges. Il disparaît enfin dans les temps modernes, et les deux gisans si poignans de M. Bartholomé reposent sur la terre même qui doit les recouvrir.

Sans doute, ces lois ne sont pas absolues. Les formes architecturales acquises par le passé coexistent parfois avec la forme nouvelle, et il peut arriver que quelques-unes triomphent dans un pays qui ne sont pas adoptées dans un autre. C’est ainsi que le tombeau en forme de lit de parade, carré, posé au milieu d’une chapelle, comme une île dont on peut faire le tour, n’a presque jamais été adopté en Italie, mais seulement dans les pays du Nord, tandis qu’à Florence, à Padoue, à Assise, à Venise, le monument est appliqué contre les parois de l’église, ne se développant qu’en hauteur comme une sorte de décoration