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à faire orner d’amours et d’atours la tombe de son chevalier, à Brou, et il semble bien que le monument de Maximilien, à Innsbruck, n’ait pas demandé moins de quatre-vingts ans. On mettait plus de temps, alors, à construire une tombe, dans notre vieille Europe, qu’aujourd’hui, en Amérique, à bâtir une ville.

Cette longue patience, à la fois de ceux qui voulaient fêter leurs morts et des artistes attachés à leur œuvre, est peut-être l’enseignement dont nous aurions le plus besoin. Non pas la fidélité dans la vie. Le culte du souvenir n’est sans doute pas moindre dans les âmes modernes que chez ces preux attentifs à la sculpture d’une tombe, et, dans un temps comme dans l’autre, selon le mot gravé par René de Birague sur la tombe de Valentine Balbiani :


Qui bien ayme tard oublie.


Mais le sentiment, aujourd’hui perdu, est celui de la fidélité à la même œuvre d’art, — la longue patience qui s’attache au même but et l’effort qui, toujours dans la même direction, se renouvelle. Aujourd’hui, si l’on bâtit plus vite qu’autrefois la demeure des vivans, — ce qui n’a guère d’importance, puisqu’on ne lui veut pas de beauté, — on ne peut, guère plus vite qu’autrefois, concevoir et exécuter quelque belle chose qui honore les morts. Et le seul qui y ait tout à fait réussi, M. Bartholomé, n’a pas mis moins de douze ans à méditer et à parfaire son œuvre…

Aussi le goût des colossales bâtisses a-t-il diminué à mesure que le monde trouvait d’autres signes de gloire, et, du même étiage, a diminué la tombe. D’abord, élevée très haut dans le ciel, avec les Pyramides, elle n’a cessé, d’un mouvement lent et continu, de s’abaisser vers la terre pour se confondre avec elle, — dans les dalles de Santa-Croce qu’usent les genoux des fidèles ou les pieds des touristes indifférens.

Regardez le tombeau antique : quand ce n’est plus une montagne comme les Pyramides, c’est un temple, comme les sarcophages de Sidon ; quand ce n’est plus un temple, c’est au moins une maison, en réduction, la maison plus étroite, mais où continue une petite vie semblable à la vie domestique. Le sarcophage est le microcosme de la demeure. Il est fait, d’abord, comme l’immense maison de toute l’humanité, comme l’univers tel que se le figurent les Égyptiens : une caisse rectangulaire avec un