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bellâtre lui fait la cour, et qu’elle-même n’est pas aussi insensible qu’elle le devrait à ses attentions. Dans un mouvement d’alarme ingénu, elle se jette aux pieds de son mari, lui avoue son secret, le supplie d’éloigner d’auprès d’elle cet hôte dangereux ; mais l’imprudent mari se moque de ce qu’il prend pour une exaltation romanesque ; et, non content de garder chez lui l’improvisateur durant tout le séjour de celui-ci à Pesaro, il veut encore que Costanza l’accompagne à Milan, où, d’ailleurs, la bassesse d’âme du beau Florentin finit par la guérir tout à fait de cette première faiblesse. Une autre fois, c’est le jeune Rossini qui revient à Pesaro, sa ville natale ; les Perticari s’empressent de le loger chez eux ; et la femme de chambre voit, un matin, sa maîtresse se jeter sur le lit où a dormi le compositeur, afin, dit-elle, « d’essayer de faire passer en elle, par ce contact, un peu de son génie. » De cela comme du reste le mari ne fait que rire. Lorsque la fameuse Caroline de Brunswick, princesse de Galles, se fixe à Pesaro et y ouvre sa cour, les Perticari figurent aussitôt parmi ses intimes, sauf pour les deux femmes à se fâcher, peu de temps après, et à commencer l’une contre l’autre une campagne de diffamation assez scandaleuse. Sur le rideau du nouveau théâtre de Pesaro, Perticari fait peindre le portrait de sa femme en Sapho. Et il rit encore quand il apprend qu’un certain Paolino Giorgi se vante, par toute la ville, d’avoir été l’amant de sa Costanza.

Ce Giorgi mentait : Costanza l’affirme dans ses lettres, et nous l’en croyons volontiers. Malgré toutes les tentations qu’on se plaît à multiplier autour d’elle, un sentiment inné de ses devoirs la retient encore ; et peut-être aussi subit-elle l’excellente influence de l’homme qu’elle s’est choisi pour « ami de cœur, » le marquis Antaldo Antaldi, qui paraît bien avoir été, avec Giulio Perticari, la seule honnête figure de tout ce groupe de savans et galans gentilshommes pesarais. Elle reste fidèle à son mari : mais sa vertu lui pèse, et elle s’ennuie. « C’était la femme la plus bizarre que j’aie rencontrée, — a raconté plus tard Rossini. — Elle ne cessait point de faire des folies, ni de se fâcher contre son mari ; et le pauvre Giulio venait me prier de la rendre plus calme ; » Voilà exactement où en était le jeune ménage, quand tout à coup Costanza, dans les premiers mois de 1818, se mit en tête que son ennui était dû au séjour de Pesaro, et se dissiperait si seulement elle pouvait aller habiter Rome. Depuis lors, on peut dire vraiment que le « pauvre Giulio » n’eut plus un instant de tranquillité. En vain il s’enfuyait à la campagne, pour échapper aux instances et à la mauvaise humeur de sa femme : celle-ci lui écrivait tous les jours des lettres tantôt