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Dans la rue, on rencontre des mandarins qui vont à leurs devoirs, des magistrats et autres gens d’importance, la plupart en chaise, ou plutôt dans des boîtes. Ces chaises, dont chacune a deux porteurs, sont tendues d’étoffe, assortie dans celles des hautes classes à la couleur des livrées. Les grises et les jaunes appartiennent à l’aristocratie coréenne. Je remarque surtout l’équipage d’un noble en deuil. Sa chaise est tout fraîchement tendue d’une étoffe de teinte jaunâtre, comme en portent aussi les deux serviteurs, dont les vêtemens touchent presque le sol. Afin de laisser libre jeu à leurs jambes, ces vêtemens ont été fendus jusqu’à la ceinture, mais c’est seulement une fantaisie de la mode, car un Coréen ne saurait se presser, même sous le fouet. Une large ceinture est nouée en boucle autour de leur taille. Ils sont coiffés de chapeaux de paille (non pas noirs) qui ont la forme du panier à pain des boulangers. Ces chapeaux ont de larges bords qui touchent aux épaules et cachent entièrement le visage. Dans cet étrange costume, nos gens ressemblent fort à des champignons jaunes, poussés un jour d’été. Des sandales de paille complètent leur accoutrement. En dépit de ces détails bizarres et de ces absurdes combinaisons, l’effet général est bon ; les couleurs, la chaise tendue de soie, le chapeau et les sandales de paille s’harmonisent bien. Vus de loin, les personnages ressemblent à de petites figurines d’ivoire comme celles qu’on voit aux étalages des boutiques japonaises.

Mais j’entends un bruit dans le lointain, et la foule bigarrée vient vers moi de la porte de l’Ouest. Ce doit être un enterrement ou un mariage : de si loin, je ne puis distinguer lequel. L’instant d’après, deux enfans se détachent de la foule. Ils semblent conduire la procession. Leurs vêtemens sont en soie verte, pourpre et écarlate, et leur chevelure noire est tressée autour de leur tête en nattes brillantes. Ils sont parés de fleurs et de papillons. Derrière eux, on porte une grande boîte polie, peinte en rouge. C’est évidemment la dot. Puis viennent les danseuses pur couples, mais à quelque distance l’une de l’autre. Je ne puis décrire leur costume. C’est un entassement confus de jupes, foulards, voiles, le tout pêle-mêle et de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

La vie de la rue est un flot qui coule toujours. À Séoul, je remarque que tout le monde vit dans les rues. C’est très probablement pourquoi elles sont si larges et les maisons si resserrées.