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Voici l’aube devenir le matin, et les boutiques s’ouvrent une à une. Elles ne sont le plus souvent défendues pendant la nuit que par des paillassons ou quelques planches. Un peu plus tard les douaniers commencent d’arriver, tout vêtus de blanc. Hommes et femmes portent les mêmes vêtemens de toile (kaftans), et leurs chaussures aussi sont en toile, de sorte qu’ils sont blancs de la tête aux pieds, excepté le chapeau de crin noir. Par instant, je vois une chaise à porteurs, grande comme une boîte : quelqu’un est blotti dedans. Rien qui ressemble à une voiture, une charrette ou un cheval, malgré le mouvement d’affaires qui s’accentue, mais se poursuit toujours dans un complet silence. Il n’est donc pas étonnant que je reste sous l’impression d’être dans une ville déserte.

C’est généralement le premier jour que nous remarquons les traits les plus caractéristiques d’un lieu. Quand nos facultés de perception sont encore fraîches, elles sont plus sensibles aux petites particularités. Après le déjeuner, je sors faire un tour. En face de moi, la porte du Palais, devant laquelle se tiennent quelques soldats. Au delà, s’ouvre une longue rue, vers laquelle je poursuis mon chemin. C’est la même rue qui ressemblait hier à un vaste cimetière. Les maisons sont ouvertes maintenant et le volet de bois qui les ferme sur la rue a été enlevé. Il y a un nombre considérable de boutiques, mais elles sont petites et mesquines, sans rien en montre qui attire mon attention. Celles des ébénistes ont le meilleur air, avec leur étalage de petites armoires en marqueterie, garnies de cuivre et de grosses serrures polies. Elles sont originales et de bon goût et doivent bien se vendre, car dans toute une rangée de devantures, je ne vois pas autre chose. Il ne manque pas non plus de graines, mais les paniers qui les contiennent n’offrent pas le quart de la variété déployée par une épicerie chinoise. Je ne me rappelle pas avoir vu rien de plus en fait de boutiques, ou du moins rien que j’aie remarqué. Toutes sont petites et vides, sans jamais plus d’un ou deux cliens.

Ce qui me frappe surtout, c’est le grand nombre de guérites. Tous les cinq ou dix mètres, vous en trouvez une, où se tient immobile un soldat, noir, rouge et jaune, en armes. N’importe où je tourne, il y a des guérites partout, à droite, à gauche, devant et derrière. Se pourrait-il qu’une telle armée fût nécessaire pour maintenir cette petite nation dans l’ordre ? Je ne me suis