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humains, l’exubérance de la vie est tout à fait écrasante. On se sent mal à l’aise et perdu dans ce flot d’humanité. Les plus étroites rues et les plus larges places, les cours et les maisons flottantes sont également débordantes, et à l’encontre des foules passives et endormies de l’Inde, ici tout le monde est actif, du plus jeune au plus vieux, tout le monde semble poursuivre une occupation et avoir quelque chose en vue. La puissance de travail de cette race éclate d’une manière étonnante du matin au soir ; sa force et sa vitalité se manifestent dans toute leur énergie primitive.

Niou-tchang n’est pas seulement une place de grande importance aujourd’hui ; elle est encore appelée à devenir un des grands marchés commerciaux de l’avenir. Le commerce international fut plutôt entravé par le fait que la rivière est gelée chaque année pendant trois mois ; mais depuis l’achèvement de la ligne de Tien-tsin, la ville est aisément accessible par terre. Un pont de chemin de fer sur le Liao est en projet ; s’il est construit, le même train pourra aller tout droit de Pékin à Saint-Pétersbourg. Présentement, les voyageurs sont obligés de passer la rivière dans des jonques chinoises afin de prendre les trains de Chine.

Au centre de la ville commerçante se trouve la mission catholique. Perdue au milieu du dédale des rues tortueuses, elle disparaît presque dans l’agitation et le bruit de ces espèces de bazars. Sa petite église et ses quelques édifices modestes sont abrités tant bien que mal par une muraille blanchie à la chaux. Protection légère en cas de siège ou même d’émeute un peu sérieuse ! Assurément si la population devenait hostile, ce mur délabré ne serait guère capable de refouler le flot. Mais ceux qui viennent vivre là leur admirable vie de dévouement et de charité, répandre leurs bienfaits dans les rangs des affamés et délaissés, mettent leur confiance en une forteresse plus solide que les bastions de ce bas monde. Le jour où un missionnaire quitte son pays, il n’est plus sûr du lendemain, et, en débarquant aux rivages de la terre jaune, il est forcément exposé à tous les dangers. Pour ne rien dire de la persécution ouverte ou dérobée, les épidémies les plus terribles et les privations continuelles déciment cette petite armée du sacrifice. Et pourtant, en dépit des épreuves et du danger, jeunes pères et jeunes sœurs arrivent, à peine les vœux prononcés, heureux et pleins de zèle, prêts à vouer leur vie à la grande œuvre de l’apostolat.