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« On raconte, écrit quelque part sir Henry Maine, que les vieux toxicologues rangeaient toujours leurs découvertes en séries de trois termes : d’abord le poison, puis l’antidote ; en dernier lieu, la drogue destinée à neutraliser l’antidote. L’antidote contre les infirmités fondamentales de la démocratie était la représentation ; mais on a maintenant trouvé dans le caucus (porté au maximum par la Machine et le boss) la drogue qui l’annihile[1]. » Trouvera-t-on par la suite le second antidote qui, à son tour, neutralisera ce second poison ? Pour conclure en ce qui nous touche, la démocratie pourrait-elle échapper au danger, et comment le pourrait-elle ? Lui suffirait-il de s’organiser ? Le pourrait-elle, et comment le pourrait-elle ? Organisée, résoudrait-elle les antinomies qui paraissent se dresser, entre elle et tant de choses sans lesquelles il semble, d’autre part, qu’il n’y ait ni sécurité, ni dignité, ni grandeur, ni force, ni ordre, ni paix, ni droit, ni progrès, ni culture, ni civilisation, et hors desquelles la vie nationale ne vaut en vérité plus la peine d’être vécue ? La question a été bien des fois posée, et je me permets seulement de la poser encore une fois. Avant de l’aborder, il faudrait être sûr de s’être libéré tout à fait de l’encombrement des préjugés et des sophismes, d’avoir l’œil assez clair et la main assez ferme pour pousser à fond l’analyse et ne s’arrêter ni se troubler, pas même lorsque la chair crierait ; enfin de ne point se laisser piper tout le premier à ce fatal « mensonge des mots » qui les fait prendre pour des réalités. Aussi bien serait-ce toute la question-des conditions d’existence et de développement de la démocratie à réexaminer et à débattre. Ce n’est pas aujourd’hui le jour, mais peut-être ce jour viendra-t-il, mais sans doute vient-il inévitablement. — Tout arrive, tout est dans tout ; et c’est ainsi que, partis de la politique de M. Combes, nous serons arrivés à l’un des plus hauts problèmes de la politique transcendante.


  1. Le gouvernement populaire, p. 137.