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révélation du Moi de M. Combes a été l’un des phénomènes curieux de l’année politique qui ; vient de finir ; mais nous en avons eu un autre, qui ne le lui cède guère, une autre révélation d’un autre Moi, d’un Moi au moins aussi puissant, l’avènement au jour de M. Mascuraud. Auparavant, on le sentait formidable dans l’ombre ; un incident l’a obligé de se produire, nous pouvons maintenant le mesurer, et évaluer ses prises sur le pouvoir, d’après une page de son agenda : « Le 5 février, M. Mascuraud est allé au ministère des Travaux publics… Le 12 février, voir M. Chapsal sans faute (c’est le chef du cabinet du ministre du Commerce). Le 18…, audience au ministère du Commerce… Le 25, à dix heures, ministère du Commerce… » Le tout entremêlé de déjeuners et de dîners, si bien que l’un des membres de la Commission (il faut bien la citer, quelque peu de goût que l’on ait pour cette politique chez la portière), de la Commission d’enquête sur l’affaire dite du million des Chartreux, M. Albert Poulain, émerveillé de ce que peut M. Mascuraud, sans que l’on sache du reste si ce qui l’étonné le plus, c’est la capacité de déjeuner, de dîner, ou de pénétrer à toute heure chez les ministres, s’écrie joyeusement : « Vous en avez une santé républicaine[1] ! »

Mais, pour pouvoir tout cela, qu’est M. Mascuraud ? je veux dire qu’est-il dans l’État ? Membre du Conseil des prud’hommes et peut-être conseiller du commerce extérieur, peut-être membre du comité des expositions françaises à l’étranger ; mais surtout, et c’est là ce qui le fait ce qu’il est, président du Comité républicain du commerce et de l’industrie, affilié au comité d’organisation du Congrès radical et radical-socialiste de la rue Tiquetonne, au comité de l’Alliance démocratique, et à divers autres comités et associations encore, déclarées ou secrètes, grand collecteur et grand répartiteur des fonds que réclament les nécessités électorales du Bloc. M. Mascuraud préside des comités. Les comités font les députés. Les députés ne font pas, mais peuvent défaire, et peuvent ne pas défaire, les ministres ; ils les tiennent donc, mais eux, les comités les tiennent, et les présidens tiennent les comités. Tout part du comité, et tout y

  1. Annexe au rapport fait au nom de la Commission d’enquête chargée de faire toute la lumière sur la tentative de corruption faite auprès de M. le président du Conseil, par M. Maurice Colin, député. — Chambre des députés, session de 1904 no 1885, p. 841-843.