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ou même la discipline, sans que l’armée s’en trouvât plus mal.

En attendant que les temps soient accomplis de cette « humanité réconciliée » que nous ne connaîtrons vraisemblablement pas, et tant que les armées sont faites éventuellement pour la guerre, aussi défensive qu’on la voudra, mais possible, ce qu’il est indispensable et urgent d’apprendre à de futurs hommes de guerre, c’est la guerre. Et il est d’autant plus urgent et indispensable de l’apprendre dans les écoles militaires, que depuis plus longtemps, heureusement, nous n’avons pas eu de guerre.

Mais n’insistons pas davantage : la sociologie, quelque fatras qui s’y mêle et dans quelques conjectures qu’elle flotte encore, est, au total, une manie douce. Avec M. le ministre de la Marine, nous sommes loin de la sociologie, et quant à lui, ce n’est pas à la science sociale qu’il ouvre les portes de nos écoles, c’est à la révolution sociale qu’il ouvre les portes de nos arsenaux. La Commission extra-parlementaire d’enquête nommée au printemps dernier (admire-t-on assez cette commission d’enquête extraparlementaire nommée par le ministère lui-même, pour soustraire un ministre aux sanctions parlementaires qu’il peut avoir encourues, et ce moyen superfin de clore sans la clore une interpellation périlleuse ? ) la Commission d’enquête s’est promenée, pour occuper les vacances, de Cherbourg à Brest et de Brest à Toulon, avec délégation à Lorient et à Rochefort. Peut-être était-il superflu d’éplucher de si près la comptabilité-matières, de numéroter un à un les rivets des plaques de blindage, et de vérifier si scrupuleusement dans les magasins le nombre des boîtes de conserves. Dans quel état de navigabilité sont présentement nos cuirassés et nos croiseurs ? Est-il ou n’est-il pas avantageux de « jumeller » les pièces de canon dans les coupoles de nos vaisseaux ? Il importe évidemment de le savoir ; mais osons dire qu’il importe bien autrement de savoir ce qui se passe dans la tête de nos équipages et de nos équipes. Or, ce qui s’y passe, on tremble de le deviner. Les indices qu’on en peut saisir sont plus inquiétans que rassurans ; et, si la Commission a des oreilles, elle n’a pas eu besoin d’écouter pour entendre : L’amiral à Charenton, tonton, tontaine, tonton ! En vain le commandement s’édulcore en « avertissement paternel ; » de paternité, ni d’autre autorité quelle qu’elle soit, il n’en faut plus[1]. C’était

  1. « Nous voulons bien travailler, mais pas obéir. » — Déposition de M. Berthon, à Toulon, devant la Commission d’enquête. — Les journaux du jeudi 6 octobre.