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esprit de suite sa politique essentiellement agissante, ce sont les grèves. Certes, la grève, non plus, M. Combes ne l’a point inventée, et il serait absurde d’en vouloir rejeter la faute et la responsabilité sur lui seul. Il y avait des grèves avant lui, il y en aura après lui ; il y en a depuis longtemps, depuis des siècles, dans une organisation du travail comme dans l’autre ; peut-être y en a-t-il toujours eu, et peut-être y en aura-t-il toujours. Mais ce qui est, en matière de grèves, la marque du ministère Combes, et pour ainsi dire le sceau dont il les contresigne, c’est le caractère révolutionnaire qu’elles ont pris, et qu’elles n’avaient pas, ou qu’elles avaient beaucoup moins, sous les ministères précédens. Sous les ministères précédens, les grèves étaient un désordre dans l’ordre ; sous celui-ci, comme on sent qu’elles sont tout bonnement un désordre de plus dans l’universel désordre ! Jamais, je pense, avant M. Combes, aucun président du Conseil n’avait osé parler, publiquement et solennellement, de « grève modèle ; » car enfin, personne ne le conteste, le droit de grève est un droit, mais c’est tout de même un droit dont l’exercice est un malheur. Et jamais, je pense, avant M. Combes, aucun ministre de l’intérieur, couvrant son secrétaire général, n’avait, dans une circulaire aux préfets, insinué que les grévistes, étant ses amis, lui devaient tout au moins cette attention de ne pas fournir un argument à ses adversaires. Voilà, ou on ne l’a jamais entendu, le langage d’un gouvernement et d’un chef de gouvernement ! Mais l’aveu est à retenir : ceux qui, à coups de poing et à coups de pied, empêchent les ouvriers de travailler, ceux qui pillent les récoltes et donnent l’assaut aux maisons, ceux qui établissent, de leur autorité privée, des barrages et font circuler des patrouilles sur les chemins, ceux qui soumettent à leur laissez-passer le droit d’aller et venir, qui est le premier des « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme, et tant d’autres droits également naturels et imprescriptibles avec celui-là, toute cette anarchie, toute cette jacquerie, ce sont « les amis » du gouvernement. Et, comme on ne peut pas douter, puisque le gouvernement le dit et l’écrit, que de telles bandes ne soient composées de ses amis, c’est de lui alors qu’il faut douter ; est-ce bien un gouvernement ?

Si d’ailleurs on en doute en regardant M. Combes, on n’en doute presque plus en regardant M. le général André, et plus du tout en regardant M. Camille Pelletan ; il est clair que ce n’en