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seul ou celui d’une foule ; c’est le despotisme, quel qu’il soit, celui du prince ou celui de la masse. Rien à ses yeux n’est aussi faux, et aussi opposé au sentiment chrétien et à l’esprit religieux, que le droit strict et absolu et les théories politiques absolues. Entre ces théories et le christianisme, il y aura toujours conflit ; car l’Etat chrétien, par-là même qu’il est chrétien, est fondé sur l’histoire, déterminé par elle ; il affecte un caractère de relativité ; il reconnaît et laisse subsister tout ce qui est légalement établi et conforme au bien social ; et il repousse pareillement le despotisme arbitraire et le principe rationnel d’une liberté et d’une égalité universelles, la tyrannie d’un souverain et la tyrannie d’une faction. Alors s’insurge le faux esprit du siècle, que Schlegel définit « l’absolu dans les opinions et dans les actes. » « On détache de tout un entourage historique, continue-t-il, une particularité que l’on représente et que l’on pose comme le centre et le but universel ; on en fait, sans aucun égard pour l’histoire, un principe absolu ; et l’on n’arrive de la sorte qu’à faire fuir l’esprit de vie : là où il soufflait, il n’y a plus qu’une lettre morte, propre à donner la mort. »

Schlegel déteste les lettres mortes, les lois qui manquent de souplesse, les constitutions artificielles ; tous ces papiers lui font horreur ; et bien que le christianisme, — il le dit formellement, — admette toutes les formes de gouvernement, le seul motif qui induise Schlegel à préférer à la république la monarchie, c’est que, dans une république, où ce n’est pas une personne qui règne, mais la loi, il est à craindre que la loi ne devienne une abstraction sacro-sainte et absolue. L’élasticité des gouvernemens personnels lui paraît préférable à la vaniteuse intangibilité des lois républicaines ; et les sympathies de Schlegel pour la monarchie héréditaire, « dernier système politique durable où l’homme finira par s’abriter, » sont une conséquence logique — et piquante — de sa haine contre l’absolutisme. Au demeurant, il tempère cette monarchie par l’institution d’un système de classes, de corporations, qui seraient les vrais représentans de la nation ; et « cette distinction juste et chrétienne des classes entre elles, explique-t-il, obtiendra chez tout esprit raisonnable la préférence sur l’état constitutionnel, pénible élaboration reposant sur l’équilibre des pouvoirs. » La distinction des classes, pour Schlegel, est un phénomène concret, une donnée de la vie ; la division des pouvoirs est une idée abstraite, absolue.