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les autres tenaient à garder en mains la force militaire pour n’être pas chassés par elle. Ceux-ci ont surtout souci du général qui, retranché dans sa caserne, déclare réserver toute son obéissance au ministre de la Guerre : leurs inquiétudes l’emportent même sur leurs principes, et, invoquant cette autorité de l’Etat qu’ils ne reconnaissent pas, ils la pressent de déplacer le général. Ceux qui se mettent à l’œuvre véritable de la défense possèdent pour toute aptitude les traditions révolutionnaires sur la subordination de l’autorité militaire à l’autorité civile, et les vertus des soldats citoyens. Ils désignent les chefs de leur future armée, ils en offrent le commandement à, Cluseret et à Garibaldi[1]. Pour recruter les combattans, ils dressent des estrades entourées de drapeaux sur les places publiques, où les sonneries de clairons et les roulemens de tambours appelleront les volontaires : et en effet, si les comédiens sont nombreux à parader sur ces tréteaux du patriotisme, quelques milliers de braves gens s’offrent. Pour armer ces troupes dont ils ne sont que l’avant-garde, le Comité visite les forts et inspecte les arsenaux, mais il sait d’avance qu’entretenus par « l’incapacité militaire, » ils sont vides, et qu’il faut chercher ailleurs. Le plus simple sera d’acquérir dans les pays étrangers les stocks de fusils à vendre. Le Comité donne pouvoir à des délégués pour acheter en Angleterre et en Suisse[2] : il ne se doute pas que si chaque ville agit de même, elles se feront concurrence les unes aux autres et que leur surenchère élèvera les prix d’une façon ruineuse. Le Comité s’occupe aussi de fortifier Lyon ; le colonel du génie était l’homme qui devait bientôt devenir le général Rivière et présider après la guerre au rétablissement de nos frontières défensives. A l’évidence du mérite il joignait celle du zèle, avait l’art de convaincre et aussi de charmer. Il accomplit son œuvre la plus difficile en obtenant la confiance des délégués, et rendit le service le plus inattendu à leur mémoire en prouvant que leurs préventions n’étaient pas invincibles. Mais il fallait être Rivière pour triompher d’elles. Et, malgré lui, l’idée demeurait que les militaires ne répareraient pas le mal, que c’était aux citoyens à improviser, par une divination du patriotisme supérieure à la routine, des nouveautés invincibles. C’est cet espoir qui hantait le Comité crédule aux inventeurs de toute sorte et de tous

  1. Résolution votée à l’unanimité : séance du 8 septembre.
  2. Le Comité de la Guerre, 12 septembre.