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concert avec lui, toutes mesures seront prises pour la défense et le salut de la République. »

Mais l’esprit de défiance n’était pas éteint, et il s’accrut de la concession faite. Si le délégué, admis dans la place, tentait d’en expulser la Commune ! Elle se donna la sûreté et la force d’humilier par mille mesures, en la personne du délégué, les deux supériorités contre lesquelles elle était en révolte : celle de la bourgeoisie instruite sur le populaire, et de Paris sur la France. Tous les appartemens du préfet restèrent occupés par le Comité. On relégua Challemel dans un entresol où trois petites pièces durent suffire à lui et à son secrétaire. La première fois qu’il désira s’entretenir avec un membre du Comité, il fallut une délibération et un vote pour établir que ce membre avait le droit de se rendre à cet appel. Les personnes qui venaient le voir étaient conduites à lui entre des gardes nationaux et ramenées de même. Des sentinelles veillaient à sa porte. Ses communications avec Paris furent l’objet d’une surveillance plus rigoureuse encore : des commissaires du Comité siégeaient en permanence au télégraphe pour envoyer le texte de toutes ses dépêches au Comité, et celui-ci, après les avoir lues, les interceptait parfois.


VI

Ainsi l’assemblée pourvoyait à sa durée. Que faisait-elle de cette souveraineté si jalousement défendue ? Elle avait chargé de préparer sa tâche trois commissions : de la guerre, des finances, des intérêts publics.

Si une œuvre semblait appartenir au gouvernement national, c’était la défense : là, l’unité est la condition de l’ordre, de la promptitude et du secret, donc de la force. Et si la Commune semblait disposée à concéder à l’Etat, comme de moindre intérêt, une besogne, c’était celle dont une voix avait dit : « Nous y songeons bien ! » L’aveu révélait l’influence des doctrines internationales, bien que leur réfutation par les lèvres frémissantes de Challemel eût touché l’assemblée. Elle avait, sinon le cœur, du moins la tête perdue de déclamations humanitaires. Composée de prolétaires, elle tendait à substituer aux haines de races les haines de classes. Le patriotisme n’était plus à ses yeux qu’une opinion libre. Pourtant, même sur les affaires militaires, le Comité voulut retenir son omnipotence ; les uns croyaient servir la patrie,