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population contient des élémens fort inégaux en intelligence comme en énergie. Quand tout entière elle désigne ses mandataires, son vote est une moyenne de ces forces inégales, et la crainte de devancer cette opinion moyenne emprisonne les élus au milieu de leur armée : elle les fait donc, même en Révolution, modérément révolutionnaires. L’émeute au contraire n’est tentée que par les hommes les plus généreux et les plus braves, elle fait la sélection entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas vouloir. Compter les volontés n’est pas la bonne méthode, il les faut peser ; car ce n’est pas leur nombre, c’est leur intensité qui crée leur puissance, et par suite leurs droits. L’élite révoltée est plus que la masse passive, et dans cette élite même les chefs peuvent devancer tout le monde, du droit de leur élan, agir vite et faire grand pour le bien général. C’est le rôle que les soixante-dix-huit maîtres de Lyon se réservaient.

En cela, ils n’étaient que Jacobins. Mais non seulement ils n’entendaient abdiquer devant aucun autre pouvoir dans la cité, ils n’entendaient pas davantage céder à aucune suprématie, même celle de l’Etat. Pour les soutenir dans cette autre indépendance, il leur fallait le secours de l’autre doctrine apportée par l’Internationale, et qu’ils proclamèrent, disciples fanatiques. A quel titre l’État prétendrait-il dominer Lyon ? Au nom de la volonté générale ? Mais dans la France la coalition des bourgeois et des paysans était plus forte que dans Lyon et serait plus ennemie du peuple. Au nom de la révolution Parisienne ? Si la République y devenait, comme elle l’était déjà à Lyon, le gouvernement du peuple, il n’appartiendrait pas à ceux qui auraient suivi l’exemple de se faire les maîtres de ceux qui l’auraient donné, et ce serait un assez vaste domaine pour les prolétaires de Paris que la première ville de France. Si le pouvoir était confisqué par les parlementaires, il devenait plus impérieux pour Lyon de garder au prolétariat la place conquise et de rester indépendant envers une république suspecte de modérantisme.

Le premier souci du Comité fut donc d’empêcher que nulles nouvelles parvinssent aux Lyonnais, sinon par son intermédiaire et avec sa censure. Il établit au télégraphe des surveillans chargés de lui communiquer d’abord toutes les dépêches. C’est ainsi qu’il connut vers cinq heures les événemens de Paris. Il ne pouvait déplaire au Comité d’annoncer en réponse la révolution de Lyon, la première par la date. Andrieux, chargé de