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dans sa ville et l’indépendance contre la primauté de Paris.

À ce prestige sur les imaginations s’ajoutèrent des moyens plus artificieux de recrutement. Les grèves de 1869, préparées dans le bassin de la Loire et du Rhône, atteignirent à Lyon tous les corps d’état et de métier, y suspendirent tour à tour le travail. Ils semblaient se transmettre le chômage, comme pour donner le loisir, à tous ces travailleurs qui ne travaillaient plus, d’apprendre les passions révolutionnaires, à la fièvre de s’insinuer partout, aux meneurs de connaître leurs troupes. Françaises ou étrangères, toutes les sections de l’Internationale soutinrent de leurs subsides les grévistes. C’était la coopération libre des groupes souverains au service des intérêts communs, la fédération vivante et tutélaire, le fait donnant raison à l’idée. Aussi, dans tous les corps de métier, les affiliés se multiplièrent. A l’automne de 1869, cette masse d’internationaux lyonnais exprima ses pensées par le choix de son mandataire au congrès de Bâle ; elle désigna Bakounine. Dans cette assemblée, quand Bakounine répandit ses colères destructrices jusqu’à l’anéantissement de toute autorité, il ne représentait que le nihilisme de son âme russe : quand il proclama la souveraineté de la Commune, il formulait exactement la doctrine des internationaux lyonnais. Après le congrès, ils la confirmèrent dans une campagne de réunions où Albert Richard fit applaudir par de vastes auditoires le principe nouveau, décréter qu’il devait être appliqué, et voter que les ouvriers de Lyon « se fédéreraient avec les groupes déjà formés à Paris, à Marseille et chez les nations voisines. » Le 13 mars 1870, cette fédération était constituée par 5 000 adhérens dans la salle de la Rotonde, aux Brotteaux. Les nations étrangères manquaient, mais nombre de villes françaises étaient représentées ; toutes du Midi, sauf Paris, Rouen et Dijon.

Fédéralistes et Jacobins, révolutionnaires politiques et destructeurs sociaux poussaient leur propagande contraire, sans la tourner les uns contre les autres ; leur désir d’abattre le gouvernement leur imposait le silence sur leurs désaccords. Mais les chefs ne s’y trompaient pas, ils comprenaient qu’entre ces factions, l’alliance était un accident, la guerre la réalité profonde. Tout en concertant leur action immédiate, ils songeaient aux précautions qu’il leur faudrait prendre bientôt peut-être. Ils s’épiaient dans l’ombre, ils voyaient avec regret croître les influences qu’ils devinaient rivales, les desservaient autant qu’ils le