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Trop avisé pour compromettre par une lutte personnelle contre l’Empire sa profession et son repos, assez homme de parti pour désirer que la guerre fût menée à fond par d’autres, il s’intéressait, aimable et paterne, à ses jeunes confrères en qui perçait l’ambition et le talent, recruta sans bruit ceux qui feraient du bruit, et, bon passe-partout, leur ouvrit la porte du Temple. Ainsi y pénétrèrent avec Millaud l’adresse, avec Varambon l’élégance, avec Ferrouillat la continuité infatigable de la parole. Ils la répandirent, plus active à mesure que les lois devenaient plus douces, éclipsant le vieux groupe de la maçonnerie silencieuse, éclipsés eux-mêmes par leur compagnon Andrieux. En celui-ci, la rhétorique était au service d’un tempérament. Son courage impatient de faire ses preuves lui donnait une originalité et une indépendance, car, s’il acceptait les doctrines communes, il les servait à sa manière, ardemment et hardiment. Aux manœuvres obliques il préférait les attaques de front : il les dirigea telles, soit contre l’Eglise, soit contre l’Empire. Sa vigueur lui fit aussitôt des enthousiastes dans la foule, qui est femme, et aime les passionnés. Son succès obligea à devenir violens les émules qui voulaient devenir populaires comme lui, et leurs voix sonnèrent le réveil à Lyon assoupi. Le succès confirma Andrieux dans sa volonté d’aller en tout jusqu’au bout. Elle le poussa en 1860 jusqu’à Naples où s’était réunie une assemblée de libres penseurs, qu’on appela l’ « Anti-Concile. » Il revint à Lyon pour s’y heurter aux préparatifs du plébiscite et combattit de telle sorte qu’au mois de mai 1870, il était condamné pour outrages à l’Empereur. Malgré ces efforts, quand la liberté des réunions et de la presse mit ce parti en demeure de formuler son programme, une seule passion était au fond des cœurs. Dans la tourmente de paroles qui succédait au silence, quelques vagues promesses de réformes politiques ou sociales passèrent, mais on les prononçait comme on s’acquitte des formules vaines. La vie, la sincérité, n’apparaissaient que dans les anathèmes lancés au catholicisme ; incantation monotone et incessante, contre l’intolérance de Rome, les scandales du clergé, la richesse effrayante de cette mainmorte, ces constructions qui importunent de leur masse les yeux du pauvre, ces hautes clôtures, ces grilles, ces verrous qui protègent des richesses plus grandes encore.

Cet apostolat de la haine avait étendu ses conquêtes parmi les prolétaires. La bourgeoisie catholique continuait à résister par