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A Lyon, la ville des cloches dans la ville des métiers ; la colline qui de sa base à son sommet porte, de plus en plus épaisse, sa végétation de pierre cléricale, et surmonte de la croix ses chapelles, ses couvens, ses collèges, ses asiles, couronnée elle-même par une statue d’idolâtrie ; les pèlerinages et les illuminations qui à certains jours unissent la cité tout entière au culte de la Vierge ; l’isolement des incrédules dans une bourgeoisie tout imprégnée de catholicisme, et attentive à traiter l’impiété comme une désertion, une déchéance et un péril, tout perpétuait la colère de ces hommes et leur énergie contre la puissance provocatrice. Possédés par cette haine religieuse au point d’oublier leur haine politique, ils ne s’inquiétaient pas s’ils paraissaient ainsi ménager le gouvernement et, à certaines heures, le servir : ils savaient qu’ébranler l’Eglise était ébranler l’Etat. Dans le silence d’abord imposé à tous, ils surent faire une propagande d’incrédulité, s’imposer aux regards, opposer à un culte un culte, à des cortèges des cortèges, et les enterremens civils furent plus multipliés, plus sollicités, plus achetés à Lyon qu’en aucune autre ville. Dès qu’eut été autorisée la Ligue de l’enseignement, ils comprirent l’intérêt qu’il y avait à préparer, sous cette apparence du zèle pour le savoir, la ruine de l’éducation chrétienne, et travaillèrent à s’emparer de l’œuvre en s’y affiliant. De même ils peuplèrent la maçonnerie que Napoléon III tolérait sous prétexte d’œuvre philanthropique, mais où se formait l’orthodoxie de l’impiété, où se perfectionnait l’art des formules, des ruses, des dissimulations et des impudeurs nécessaires pour dépouiller malgré lui un peuple de ses croyances. On eût dit que cette habileté allait jusqu’à dissimuler des chefs véritables et invisibles derrière des figurans : l’importance obtenue, la place occupée par le silencieux député Hénon, l’officier de santé Durand, l’ex-instituteur Barodet donnaient la mesure de la force occulte qui rendait puissante même la nullité. L’attraction vers cette force avait jeté dans les loges, avant la fin de l’Empire, quelques recrues de plus haute culture et de plus vive intelligence, tous avocats : contre un régime d’autorité les adversaires les plus efficaces étaient les hommes de discussion. Le barreau de Lyon comptait, parmi ses maîtres, Le Royer, franc-maçon, d’origine calviniste et genevoise. De l’austérité ancestrale il ne conservait qu’une goutte de fiel contre le catholicisme et de tendresse pour la République distillées dans beaucoup de prudence ;