Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

techniques, semblent mettre à sa portée. Il ne lui restera plus désormais qu’à se perfectionner, en se connaissant mieux elle-même, son génie naturel, ses ressources profondes, et en s’émondant, en s’épurant, en se « socialisant » si je puis ainsi dire, — et en s’appauvrissant.

Que si maintenant, et après avoir essayé d’analyser et de caractériser son œuvre, c’est le rôle de Ronsard qu’on voulait résumer, deux mots y suffiraient, qui achèvent de mesurer la grandeur de son personnage. Le théâtre mis à part, — que sans doute il n’a pas abordé, parce que, dans les conditions matérielles d’alors, le théâtre ne pouvait être qu’un exercice de pure rhétorique, — on peut dire de Ronsard qu’il a « circonscrit, » pour deux cent cinquante ans, le domaine entier de la poésie classique, en même temps qu’il forgeait, dans ce grand alexandrin qu’il a si bien manié, et avec une virtuosité que je ne sais si l’on a dépassée, l’instrument nécessaire à l’exploration de ce vaste domaine. Forme et fond, plus on lira Ronsard et plus on s’apercevra que le « classicisme » est tout entier dans son œuvre. Il y est avec ses qualités ; il y est avec ses défauts. Et si l’on nous demandait comment et pourquoi donc il ne s’en est pas dégagé tout de suite, c’est précisément ce qu’il s’agit maintenant d’étudier. Mais ce que nous pouvons déjà dire, c’est qu’à personne peut-être, à aucun grand artiste, ses disciples directs n’ont plus nui qu’à Ronsard, et en particulier celui d’entre eux qui sans doute est le plus bel exemple connu de ce que l’érudition comporte ou engendre quelquefois de sottise : j’ai nommé Jean Antoine, le « docte, doctieur, et doctime Baïf. »


FERDINAND BRUNETIERE.