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pouvoir une doctrine dont le premier corollaire est d’imposer au prince certains devoirs, et tandis qu’elle développe des argumentations qui soulignent la responsabilité du puissant en même temps qu’elles fondent sa puissance même, Haller juxtapose à sa théorie de l’État la notion des devoirs de la souveraineté, beaucoup plus qu’il ne l’en déduit ; c’est une notion qui a l’air d’immigrer dans la théorie, non point d’en découler. Et l’on n’a pas le sentiment, en lisant Haller, que le pouvoir vienne véritablement de Dieu ; bien plutôt, il semble que Dieu survient dans le mécanisme du pouvoir, qu’il intervient dans le fonctionnement, qu’il se fait l’hôte des conseils du souverain.

Haller attendait beaucoup de son travail. « Ce livre, écrivait-il, occasionnera d’abord une lutte violente, même entre le père et le fils, entre la mère et la fille, le frère et le frère ; » et s’exaltant par cette perspective d’offrir aux esprits une pierre d’achoppement, il écrivait avec crânerie : « La guerre dans le royaume des intelligences a aussi son beau côté. » Ne nous hâtons point de sourire de cette candeur d’espérances : il y a de la naïveté, certes, dans une telle recherche de la vérité politique absolue ; mais l’attitude est plus noble, plus désintéressée, qu’un certain scepticisme politique, qui s’accommode de tout, s’ajuste à tout, et ne péchera jamais, à coup sûr, par excès de naïveté.

Le quatrième volume de l’œuvre de Haller, qui parut en 1820, renfermait — ce sont ses propres expressions — « une profession de foi faite devant l’univers entier. » Que l’univers écoutât, ou bien qu’il fût distrait, Haller devenait catholique, et cela en vertu même de son système : par foi en lui-même, par foi en ses théories, il prétendait faire acte de foi à l’Eglise romaine. C’est ce que nous révèle un curieux passage de la lettre publique qu’il écrivit à sa famille, en 1821, pour déclarer sa détermination :


Une seule idée, simple et féconde, véritablement inspirée par la grâce de Dieu, celle de partir d’en haut, de placer dans l’ordre du temps, et dans la science comme dans la nature, le père avant les enfans, te maître avant les serviteurs, le prince avant les sujets, le docteur avant les disciples, amena de conséquences en conséquences le plan de ce livre, ou de ce corps de doctrine, qui fait aujourd’hui tant de bruit en Europe, et qui, j’ose le dire, est destiné peut-être à rétablir les vrais principes de ! a justice sociale, et à réparer beaucoup de maux, sur la terre. Je me représentais donc aussi une