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De chaînes d’or et de carcans gravés.
Hauts dans un char en triomphe élevés,
Une fois l’an faisant voir leur visage.
[ La Franciade, livre IV.]


Mais qu’est-ce que quatre ou cinq cents vers, perdus ou noyés dans les six ou sept mille des quatre chants de la Franciade ? et que tout cela, d’ailleurs, quoique non composé, demeure donc artificiel ! On dirait de la Franciade l’aboutissement d’un genre épuisé par les imitations qu’on en a faites ou le nombre des copies que l’on en a tirées. S’il y avait certainement, dans le renouveau du mouvement de la Renaissance, des élémens, ou, si je l’ose dire, des promesses de dégénérescence et de sénilité prochaines, on ne le voit nulle part plus clairement que dans la Franciade. Et ne faut-il pas croire, que Ronsard s’en est lui-même aperçu, puisque enfin il n’a pas poussé son poème au-delà du IVe chant ?


Si le roi Charles eût vécu,


nous dit-il,


J’eusse achevé ce long ouvrage.
Sitôt que la mort l’eut vaincu,
La mort me vainquit le courage.


S’il y a quelque vérité dans cette raison qu’il donne de son découragement, il nous est permis de croire qu’elle n’en est pourtant pas la seule, ni peut-être la principale. Mais, nous aimons mieux penser qu’il reconnut son erreur, et l’ayant reconnue, qu’il n’eut pas le courage, — comme autrefois Virgile, — de condamner son œuvre, et, tout ce que son amour-propre put concéder à sa probité d’artiste, ce fut de s’arrêter.

La Franciade, après cela, vaudrait-elle mieux, comme on l’a prétendu, si Ronsard n’avait pas eu l’idée, qui nous paraît en effet singulière, de l’écrire en décasyllabes, et d’y renoncer, comme trop prosaïque, à cet alexandrin dont il avait lui-même fait dans ses Discours le type du vers français classique ? Nous avons quelque peine à le croire, et les plus beaux vers du monde n’eussent pas effacé, ni réparé le vice initial du sujet. Il y a des circonstances plus fortes que les volontés des hommes, et il y a des erreurs dont le génie même ne saurait sauver celui qui s’y est une fois engagé. La Franciade n’eût pas beaucoup gagné non plus à être écrite plus simplement ou plus naturellement. A la