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autant que de juger ; et avant que de faire au poète un grief de cette confusion, nous attendrons qu’on nous ait montré que ses adversaires ne l’ont point faite, Calvin et Théodore de Bèze, le roi de Navarre[1], le prince de Condé, celui des Châtillons qu’on avait revêtu de la pourpre romaine, et le plus illustre enfin d’eux tous, l’honnête homme, le grand homme, le héros du protestantisme français, Gaspard de Coligny.


L’espérance de mieux, le désir de vous voir
En dignité plus haute et plus grande en pouvoir,
Vos haines, vos discords, vos querelles privées
Sont cause que vos mains sont de sang abreuvées.
Non la religion, qui sans plus ne vous sert
Que d’un masque emprunté qu’on voit au descouvert
[Remontrance au peuple de France.]


Avec ces sentimens, et dans ces conditions, on ne s’étonnera pas de l’ardeur du « royalisme » ou du « loyalisme » de Ronsard. A ceux qui, s’ils murmuraient déjà sous les règnes forts de François Ier et d’Henri II, n’avaient pourtant pas osé prendre les armes et déclarer la guerre civile, il en veut de la violence qu’ils prétendent exercer contre une femme et contre un enfant


Et vous, nobles aussi, mes propos entendez,
Qui faussement séduits, vous êtes débandés
Du service de Dieu : veuillez vous reconnaître,
Servez votre pays et le Roi votre maître ;
Posez les armes bas ; espérez-vous honneur
D’avoir ôté le sceptre au roi votre seigneur ?
Et d’avoir dérobé par armes la province

D’un jeune Roi mineur, votre naturel Prince ?

[Remontrance au peuple de France.]


C’est qu’il sait, et il se rend compte, que cette patrie française, qu’il aime, c’est la royauté, ce sont « ses Rois, » comme il le dit lui-même, qui l’ont faite, et en prenant contre eux les armes, c’est contre la France qu’on les prend. Ne l’accusons donc pas ici d’avoir « loué sa langue, » selon l’injurieuse expression de Théodore de Bèze, ni même de courtisanerie. A la date où il écrivait ses Discours, en 1562, nul ne pouvait prévoir de quel

  1. On n’ignore pas que le roi de Navarre, Antoine de Bourbon, père d’Henri IV, repassa du protestantisme au catholicisme dès qu’on eut consenti à faire de lui, pendant la minorité de Charles IX, sinon un régent de France, du moins un lieutenant général du royaume.