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nouvelle, et on l’acceptait ou on la professait, en 1560, avec toutes ses conséquences. L’humanisme de Ronsard, son hellénisme ou son italianisme, la préférence qu’il donnait à l’Odyssée sur le Roman de la Rose, et à Pétrarque sur Marot, au Canzoniere sur tes « épisseries » de l’ancienne école, n’ont pas nui à son patriotisme[1]. Avant, ni depuis lors, personne n’a eu le sentiment plus profond de l’unité française ; et si la démonstration n’en semblait pas suffisante, ce serait assez d’une dernière citation :


Ha ! que diront là-bas sous les tombes poudreuses,
De tant de vaillans rois les âmes généreuses,
Que dira Pharamond, Clodion et Clovis !
Nos Pépins ! nos Martels ! nos Charles, nos Loys :
  1. Ronsard s’est-il contenté de la parole et de la plume, ou bien a-t-il poussé le dévouement à sa cause jusqu’à prendre les armes ? Théodore de Bèze l’affirme péremptoirement dans son Histoire ecclésiastique, — dont la première édition a paru du vivant de Ronsard, à Anvers, en 1580 ; — et après Th. de Bèze, et peut-être d’après lui, c’est ce que d’Aubigné et de Thou ont répété dans leurs Histoires universelles. La raison pour laquelle on a révoqué longtemps leur témoignage en doute, c’est qu’ils faisaient de Ronsard un « curé d’Evaillé ; » et Ronsard, disait-on, n’a jamais été curé d’Evaillé, ni même prêtre. Mais on avait tort. Si l’on ne saurait absolument répondre que Ronsard ait été prêtre, car, à cet égard, ni sa tonsure, dont on a l’acte, ni les bénéfices qu’il a cumulés ne prouvent rien, ou ne sont du moins qu’une présomption, il a été certainement « curé d’Evaillé. » (Cf. l’abbé Froger, Ronsard ecclésiastique, Mamers, 1882 ; et Marty-Laveaux, Notice sur Ronsard, dans la Pléiade française, Paris, 1893.)
    La question de savoir s’il a pris les armes semblerait donc devoir être résolue dans le sens de l’affirmative, si le triple témoignage de de Thou, d’Aubigné et de Bèze, n’était contre-balancé par celui de Grévin, dans son Temple de Ronsard, où précisément ce qu’il reproche au poète, c’est d’évaporer, si l’on ose ainsi dire, son indignation en paroles :
    Tu fais comme un joueur, à qui sur l’échafaud
    Le poumon plein de vent et le cœur ne défaut
    Pour se montrer hardi jouant son personnage,
    Bien qu’au fait et au prendre il perdit le courage.
    Cependant en tes vers, comme un brave escrimeur
    Qui défendant un prix se montre de grand cœur
    Tu prends tant seulement l’espée rabattue
    Afin de ne tuer et que l’on ne te tue.
    Nous concluons de là, pour notre part, qu’à la vérité, Ronsard n’a pas « pris les armes » comme chef de bande, ou de troupe, mais, étant gentilhomme, il aura sans doute eu l’occasion, en ces temps troublés, de mettre plus d’une fois l’épée à la main pour se défendre, lui ou les siens, contre les incursions de l’adversaire, et, tout considéré, c’est bien ce que semble dire Th. de Bèze. « Ayant assemblé quelques soldats dans un village nommé d’Evaillé dont il était curé, Ronsard fit plusieurs courses avec pilleries et meurtres. » Entendons par-là qu’il s’arma, lui et ses serviteurs, et que peut-être poussa-t-il l’audace jusqu’à se défendre quand on l’attaqua.
    On peut encore supposer, avec M. l’abbé Froger, que Théodore de Bèze aura confondu, non sans quelque intention, Pierre de Ronsard avec quelqu’un des siens.