Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/780

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ses mythologies, ceux-ci n’ont eu que mépris et que haine. On le devait voir assez dans l’histoire de l’inclyte cité de Genève, et dans celle du puritanisme écossais !

Ajoutons-y, non pas précisément les amitiés de cour de Ronsard, — car il ne devait pas moins aux Châtillons ou aux Bourbons qu’aux Guises, et il ne s’en est point caché, même dans ses Discours, — mais la plus vive des affections que peut-être il ait ressenties, la plus pure en même temps que la plus passionnée ; et c’est celle que lui avait inspirée Marie Stuart. Il avait été l’un des pages du malheureux Jacques V ; il avait connu et adoré Marie tout enfant ; il l’avait connue jeune fille ; il l’avait connue reine ! Le départ de l’ « enchanteresse, » quand après la mort de François II, elle dut quitter la France [août 1561] pour aller au-devant de sa tumultueuse et tragique destinée, avait laissé au cœur du poète un regret que le temps ne devait pas apaiser, et jamais, pour aucune Cassandre, ni aucune Marie ni aucune Genèvre, il n’a trouvé d’accens plus amoureux, ni de vers plus caressans :


Encore que la mer de bien loin nous sépare,
Si est-ce que l’éclair de votre beau soleil,
De votre œil qui n’a point au monde de pareil
Jamais loin de mon cœur par le temps ne s’égare.
Sonnet.

! ! [Édition de 1584, p. 749.]


Il la revoit toujours, avec « ses yeux étoiles, » son « front d’albâtre, » et « l’or de ses cheveux »


….. dont le moindre des nœuds
Dompterait une armée, et ferait en la guerre,
Hors des mains des soldats tomber le fer à terre ;


avec sa « belle taille, » son « beau corsage, » et sa « longue, et gresle, et délicate main. » Il la revoit encore, en ses vêtemens de deuil, sous son crêpe de veuve, glisser, dans les longues allées du, grand jardin de Fontainebleau, comme une apparition de la tristesse même :


Tous les chemins blanchissaient sous vos toiles[1]
Ainsi qu’on voit blanchir les rondes voiles.
[Édition de 1584, p. 749, 750, 751.]
  1. Le grand deuil se portait alors tout en blanc.