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La Terre, prodigue de sa richesse, accède à leur demande, et de l’éclat du précieux métal


Adonques Jupiter en fit jaunir son trône,
Son sceptre, sa couronne, et Junon, la matrone,
Ainsi que son époux, son beau trône en forma,
Et dedans ses patins par rayons l’enferma.
Le Soleil en crespa sa chevelure blonde,
Et en dora le char qui donne jour au monde ;
Mercure en fit orner sa verge, qui n’était
Auparavant que d’if ; et Phébus, qui portait
L’arc de bois et la harpe, en fit soudain reluire,
Les deux bouts de son arc et les flancs de sa lyre.


On remarquera, sur ce passage, que si les grands poètes, comme les grands peintres, ont une couleur et une gamme de couleurs qu’ils préfèrent, celle de Ronsard est la gamme des jaunes, — « l’or luisant, » la « blondeur roussoyante, » l’éclat des blés « richement jaunissans, » — et de là, sans jeu de mots ni métaphore, mais littéralement, et dans les Hymnes en particulier, ce caractère de richesse et de splendeur qui est l’un des plus évidens de sa poésie. S’il y a en français des « vers dorés, » ce sont les siens, et par aucun trait encore de son tempérament artistique il ne ressemble davantage aux grands Vénitiens : Giorgione, Titien, Paul Véronèse.

Mais il y a autre chose dans les Hymnes, et c’est vraiment dans ce recueil que Ronsard, tout en continuant d’imiter les anciens, se les est convertis, selon le mot de la Défense et Illustration, en sang et en nourriture, jusqu’au point de s’en dégager et de s’en libérer. L’objet de l’ « imitation » est l’assimilation ; mais on ne s’assimile que ce qu’on dénature, et, de son vrai nom, l’assimilation est transformation. C’est ce que l’on voit bien dans les Hymnes. A travers l’imitation de Callimaque ou d’Aratus, le naturalisme personnel de Ronsard s’y fait jour, et ce naturalisme ne diffère pas autant qu’on le pourrait croire de celui de Rabelais. Le génie propre de la Renaissance y éclate, et je veux dire son paganisme, mais, précisément, ce paganisme est celui de la Renaissance, lequel n’est plus tout à fait le paganisme antique, ni même celui d’Alexandrie. Sous le voile d’une adoration de la « nature, » on y voit paraître une claire conscience de travailler à la libération des instincts et à l’émancipation de soi-même. Ni les Dieux ne sont plus dus Dieux, ni même, pour