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en diversifient la physionomie. Car, c’est beaucoup que 190 ou 200 sonnets sur le même sujet, et consacrés à la même personne[1] ! Et j’ajouterais que Marie est morte avant Ronsard, qui l’a chantée morte, et dont la passion s’est donc ainsi nuancée de la mélancolie du regret et du souvenir, si d’ailleurs ces dernières pièces n’appartenaient à une autre époque de la vie du poète. La seconde partie des Amours de Marie n’a paru qu’en 1578. Mais on peut pourtant dire que, d’une manière générale, il y a moins de tension, de raideur et d’effort, il y a aussi plus de familiarité dans la Continuation des Amours de Ronsard. D’une passion à la fois héroïque et mondaine qu’il était dans les Sonnets à Cassandre, l’amour s’est ici changé, dans les Amours de Marie, en une passion plus humaine, moins apprêtée, plus voisine de la réalité, plus conforme peut-être à l’épicurisme facile et léger de Ronsard, oserai-je dire à son tempérament ? Mais encore une fois, il ne faut pas exagérer la différence, et surtout il ne faut pas croire que le poète y ait rien abdiqué de ses premières ambitions.


Tyard, on me blâmait à mon commencement,
De quoi j’étais obscur au simple populaire,
Mais on dit aujourd’hui que je suis au contraire,
Et que je me démens de parler bassement


Non, il ne se démentait point ; et il n’était pas « au contraire » de lui-même ; il se délassait seulement en de nouvelles amours, qui ne l’empêchaient pas de poursuivre ses premiers desseins ; et la preuve s’en inscrivait dans ses Hymnes, qui paraissaient pour la première fois, en 1555 et en 1556.

De tous les recueils de Ronsard, les Hymnes sont peut-être celui dont le contenu a le moins varié, et dont la date certaine autorise la plus sûre appréciation. L’intention générale en est très nettement définie dans l’Hymne de l’Éternité, qui, plus tard, est devenu le premier du recueil :


Tourmenté d’Apollon, qui m’a l’âme échauffée,
Je veux, plein de fureur, suivant les pas d’Orphée.
Rechercher les secrets de nature et des cieux.
  1. Le premier livre des Amours, dans l’édition de 1587, contient exactement 221 sonnets, séparés d’un deux cent vingt-deuxième et dernier, par un Baiser, deux Élégies, dont l’une à Muret son commentateur, deux Chansons, et une troisième Élégie, adressée à Janet, « peintre du roi. »