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indications chronologiques, de la nature de celle que le poète nous donne quand il nous apprend que ses amours ont duré sept ans, de 1540 à 1553 : on ne porte point, semble-t-il, tant de précision dans la fiction pure ! Et c’est encore le commentaire dont Remy Belleau, du vivant de Ronsard, a « illustré » la première pièce de la Continuation des Amours. « L’auteur, nous dit-il, après avoir chanté longuement sa Cassandre, voyant son service n’être récompensé que de rigueurs et de cruautés… délibéra, suivant les remèdes de Lucrèce et d’Ovide, prendre la médecine propre et particulière pour se purger de ce mal, qui est de s’absenter de la personne aimée, et par-là se donner occasion d’en perdre du tout le souvenir. Or, étant jeune, dispos, et désireux de son ancienne liberté, arriva en Anjou, voulant mettre fin à son malheur, et éteindre, comme il fit, une vieille et ingrate amitié, pour jamais ne s’empêtrer des liens d’amour. Mais un jour d’avril, accompagné d’un sien ami, ralluma plus cruellement que devant un nouveau feu dedans son cœur, et devint amoureux et affectionné serviteur d’une jeune, belle, honnête et gracieuse maîtresse, laquelle il célèbre en cette seconde partie de ses Amours. » La nature même de ces détails en semble garantir l’authenticité, pour ne rien dire de ce que l’éloge même de Marie, « jeune, belle, honnête et gracieuse, » enveloppe ou insinue d’injurieux pour Cassandre. Manet sub pectore vulnus : la blessure n’est pas encore fermée. Tout en aimant la fillette angevine,


— Fleur angevine de quinze ans,


l’appelle-t-il quelque part, — il lui souvient de la belle dame de cour, de la « riche Princesse, » dont la faveur flattait son amour-propre ; et c’est ainsi que ses nouvelles amours donnent en quelque manière aux premières un degré de consistance historique et de réalité qu’elles n’auraient pas sans cela.

Il n’y a point de curiosité maligne, ni d’indécence, à insister sur ce point. Quelles et qui furent les maîtresses de Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois, on pourrait assurément se passer de le savoir. Mais aussi n’est-ce point à elles, Cassandre ou Marie, ni même à lui qu’on s’intéresse en elles, mais à la question, capitale en littérature comme en art, de savoir comment un grand poète a compris les rapports de la nature et de l’art, ou de la fiction et de la réalité. La poésie n’est-elle qu’un éloquent