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Est-ce bien ici l’accent de la passion ? Si l’artiste est « amoureux, » n’est-ce pas plutôt de son œuvre que de sa « belle Cassandre ? » Et nous, qu’admirons-nous d’un sonnet de ce genre, l’intensité du désir qu’il exprime ? ou plutôt la parfaite beauté de la traduction que le poète en donne, cette « pluie d’or » et ce « taureau blanchissant, » qu’on dirait imités et comme transposés de quelque toile de Paul Véronèse, de sa Danaé ou de son Enlèvement d’Europe ?

Il semble qu’au surplus nous ayons sur ce point l’aveu du poète lui-même :


Amour, que n’ai-je en écrivant, la grâce
Divine, autant que j’ai la volonté !
Par mes écrits tu serais surmonté,
Vieil enchanteur des vieux rochers de Thrace.
Plus haut encor que Pindare et qu’Horace,
J’appenderais à ta divinité,
Un livre fait de telle gravité,
Que du Bellay lui quitterait la place.
Si vive encor Laure par l’univers
Ne fuit volant dessus les thusques vers,
(Que notre siècle heureusement estime),
Comme ton nom, honneur des vers françois
Victorieux des peuples et des Rois
S’envolerait sur l’aile de mes rimes.


On pourrait dire que tout Ronsard est dans ce sonnet, ou plus exactement toute la jeunesse de Ronsard et ses premières ambitions. Oui, certainement, il a aimé Cassandre Salviati et Marie Dupin ! Mais, s’il les aime, c’est moins pour aimer, et parce qu’il aime, que parce que l’amour est une incomparable matière à « mettre en vers français ; » et nous devons nous tenir assurés que, s’il a souffert, c’est bien moins des rigueurs de Cassandre ou de la fillette angevine, que, comme il nous le dit lui-même,


De n’avoir pas en écrivant, la grâce
Divine, autant qu’il a la volonté.


Si d’ailleurs nous ne nions pas pour cela que Ronsard ait aimé Cassandre[1], ni qu’elle ait réellement existé, c’est que quelques détails des Amours ne nous le permettent pas, quelques

  1. Voyez sur la Cassandre de Ronsard l’intéressante brochure de M. Henri Longnon. Paris, 1902, bureaux de la Revue historique.