Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/763

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme est belle, très belle, très savante, et on conçoit qu’elle ait séduit Ronsard ! Il y avait, dans cette formule d’art, précisément tout ce que Ronsard et ses amis se sentaient comme personnellement humiliés de ne pas trouver dans les proses rimées de Marot et de ses prédécesseurs. On conçoit également qu’aux exigences de cette forme savante, le généreux projet lui ait souri d’adapter les qualités que personne encore n’avait reconnues dans la langue française, mais qu’il y croyait contenues. Et on conçoit enfin, pour toutes ces raisons, l’effet d’insolente nouveauté que produisirent, en 1550, au lendemain de la Défense et Illustration de la Langue française, les quatre premiers livres des Odes.

« Pourquoi ce mot d’Ode, pédantesque et prétentieux, quand nous avons celui de Chant ou de Chanson, » demandait l’auteur du Quintil Horatian ? Les Odes répondaient victorieusement à cette question, et, d’abord, par la diversité des combinaisons de rythmes et par la variété de tons qui en font les premiers caractères. Car, en essayant d’imiter Pindare, — ou peut-être et plutôt encore, en se mettant sous la protection de ce grand nom, — Ronsard ne s’est pas du tout emprisonné dans l’imitation de son modèle, et à dire le vrai, l’influence d’Horace, ou celle du faux Anacréon et des élégiaques latins, ne sont guère moins sensibles dans trois au moins de ces quatre livres. Le premier seul est même proprement pindarique, à la française ! et il est vrai qu’on y trouve, entre autres pièces, celle qui a passé longtemps pour le chef-d’œuvre de Ronsard en ce genre : c’est l’ode fameuse à Michel de l’Hôpital, chancelier de France, en 816 vers, avec sa division en « strophes, antistrophes, épodes, » ses allusions mythologiques, et l’élan d’orgueil poétique dont elle est l’éloquente expression :


Errant par les champs de la grâce
Qui peint mes vers de ses couleurs
Par les bords Dircéans j’amasse,
L’élite des plus belles fleurs,
Afin qu’en pillant, je façonne
D’une laborieuse main,
La rondeur de cette couronne,
Trois fois torse d’un pli thébain…


L’inspiration en est haute ; l’allure générale d’une belle fierté ; la langue, forte, ferme et précise ; le mouvement d’une rare puissance ; — mais elle n’a paru qu’en 1552.