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et un pacha de circonstance, et, comme tel, malgré ses rares talens et ses laborieux efforts, demeurait sans action sur la haute assemblée. Il avait lui-même trop de tact, pour ne pas sentir les difficultés de son rôle : il manquait d’autorité. Absolument dévoué à son maître, il n’était cependant pas investi de cette confiance entière réservée, dans le Palais et à la Porte, — encore avec quelle volonté capricieuse ! — aux vieux serviteurs de la politique musulmane. Dans nos entretiens affectueux sur les affaires présentes dont nous avions étudié ensemble, dix-huit mois auparavant, les antécédens à la Conférence de Constantinople où nous remplissions l’un et l’autre les fonctions de secrétaires, je pressentais ses graves soucis en admirant son persévérant courage. Ses collègues lui rendaient justice et lui montraient l’estime qu’il méritait si bien : mais outre qu’ils étaient tous beaucoup plus préoccupés de leurs intérêts combinés que des revendications et des plaintes de la Turquie, ils le regardaient comme un subordonné attaché à une tâche ingrate et prédestiné à la disgrâce.

Quant à Méhémet-Ali, la Porte s’était trompée plus encore. On a dit qu’elle avait cru être habile, en députant à Berlin un général né en Prusse. Peut-être avait-elle seulement cédé, une seconde fois, à son désir d’être représentée par des agens qui ne fussent point de race turque. Quoi qu’il en fût, elle avait bien mal compris les sentimens du Congrès et surtout ceux du prince, de Bismarck. À leurs yeux, Méhémet-Ali, échappé jadis de la marine prussienne, devenu musulman, et dont les débuts dans la carrière militaire ottomane avaient été favorisés, prétendait-on, par des intimités suspectes, n’était, malgré sa conduite, discutable d’ailleurs, pendant la dernière guerre, qu’un aventurier sans consistance. Sa présence irritait particulièrement le chancelier qui ne voyait en lui, me dit-il un jour, « qu’un gamin de Berlin » affublé du titre de maréchal : « Ainsi, ajoutait-il avec véhémence, me voilà obligé de placer, comme je le fais pour tous les plénipotentiaires, un factionnaire allemand à la porte d’un déserteur et d’un renégat ! » Il s’y résigna cependant : mais, après l’avoir accueilli de son air le plus froid, il ne lui parla jamais qu’avec une malveillance hautaine. Ce traitement était vraiment un peu sévère. Méhémet-Ali avait quitté sa patrie presque enfant : peut-être était-il calomnié ; en fait, il s’était distingué dur plusieurs champs de bataille : il avait même une