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collier. » Il parlait ainsi sans affectation, en effleurant de la main le précieux joyau, moins séduit peut-être parle jeu de mots que par l’intérêt dramatique des fluctuations de la fortune humaine. En somme, qu’on vît en lui le paladin, l’homme d’Etat ou du monde, il était fort à la mode dans les salons et il jouait dans l’assemblée l’un des premiers rôles. Il manœuvrait partout avec autant d’énergie que d’élégance et d’apparente liberté d’esprit. Et il y avait bien quelque mérite, en ce moment, où il couvait ses ambitions en Bosnie-Herzégovine, et où il combinait en secret avec le prince de Bismarck cette triple alliance, œuvre inconsciente du Congrès et destinée à devenir le facteur capital de la diplomatie européenne. J’ajoute que sa politique était parfaitement servie par ses deux collègues : l’un, le baron Haymerlé, homme de carrière et d’étude, et qui devait même lui succéder, aussi agréable de manières que solidement érudit, complétait et fortifiait ses moyens d’action par une compétence technique indiscutable, comme un tacticien consommé exécute les conceptions stratégiques d’un général en chef ; l’autre, le comte Karolyi, ambassadeur de François-Joseph à Berlin, donnait par la magnificence de ses réceptions beaucoup d’éclat à la mission impériale.

J’ai indiqué plus haut les difficultés de la tâche dévolue à nos plénipotentiaires français. Je dois dire que les avances du prince de Bismarck, et aussi les bons sentimens qui leur furent manifestés par l’assemblée tout entière, la rendaient un peu moins épineuse ; mais encore fallait-il bien comprendre et mesurer la conduite à suivre, et obtenir par une attitude prudente et ferme la pleine confiance de tous et le concours du Congrès à la reconstitution progressive de notre influence. On a beaucoup alors critiqué nos représentans. Il sied, je crois, d’être plus juste : en vérité, ils n’ont pas été inférieurs à ce qu’on devait en attendre, et leur initiative s’est constamment produite sans ostentation et sans défaillance. M. Waddington, depuis peu ministre des Affaires étrangères, n’appartenait pas à la diplomatie ; mais ses études antérieures l’avaient initié à nos travaux ; il connaissait au moins l’armature des questions orientales. Mais, ce qui valait mieux que cette science un peu superficielle, il était d’un esprit très circonspect et d’un jugement droit : orateur disert et courtois, exercé aux manœuvres de la vie parlementaire, il réunissait ainsi des qualités particulièrement utiles dans une