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Bismarck et le gouvernement de la République étaient convenus d’avance de cette nomination. Le français étant la langue diplomatique, il paraissait assez naturel que le premier secrétaire de l’ambassade de France fût chargé de cette tâche. De plus, j’avais quelque expérience de ce travail, ayant été, l’année précédente, secrétaire de la conférence de Constantinople. Le Chancelier, ainsi qu’on le verra plus loin, désirait d’ailleurs nous être agréable en ce moment. J’avais sans doute à m’entendre avec M. de Radowitz pour l’exacte reproduction des débats, mais sans lui être subordonné, et chaque protocole, exclusivement rédigé par mes soins, n’était soumis qu’à l’autorité du Congres. Je dois ajouter que mon collègue et moi n’avons jamais cessé d’être parfaitement d’accord. Il préparait les ordres du jour, veillait à la répartition du travail, élaborait les notes nécessaires à la clarté de la discussion, relisait avec moi les projets de protocole, et, surtout, se tenait, sous la direction du Président, en communication continue et souvent confidentielle avec les plénipotentiaires. Ma tâche, beaucoup moins complexe, ne laissait pas cependant d’être parfois malaisée, puisque j’avais à concentrer, dans une forme claire et brève, des discussions souvent très longues et confuses, sans affaiblir ni exagérer la pensée des orateurs ; mais elle était très définie, et je n’avais à m’occuper, à aucun degré, des affaires réservées au chef du secrétariat et aux adjoints que lui désigna le Chancelier.

Ceux-ci étaient tous des fonctionnaires de son Cabinet : M. Busch, chef de section, dont il estimait à bon droit l’érudition technique et le consciencieux travail ; le baron Holstein, l’un de ses plus intimes et sagaces collaborateurs ; le comte Herbert de Bismarck, son fils aîné, qu’il avait à cœur d’initier à l’étude des grandes questions, enfin un personnage singulier, M. Lothar Bücher, devenu l’un des agens de sa politique après avoir été l’un des adeptes des théories socialistes. A propos de ce dernier choix, je citerai une anecdote qui montre combien le chancelier respectait l’étiquette. M. Lothar Bücher, arrivé à un grade administratif qui lui donnait le titre d’Excellence, ne pouvait régulièrement être placé sous les ordres de M. de Radowitz dont le rang hiérarchique était alors moins élevé. Comme celui-ci ne devait avoir parmi ses collègues allemands ni supérieur, ni égal, il fallait trouver un biais, et le comte Herbert vint, de la part de son père, m’entre tenir de ce problème. Nous en étions