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Porte beaucoup de sollicitude au cours de ces péripéties et une sympathique émotion en présence de ses malheurs. Ce n’était donc pour nos plénipotentiaires, sur ce terrain bien préparé, qu’une affaire de tact et de prudence. J’ajouterai qu’avant d’adhérer au Congrès, notre gouvernement avait sagement stipulé qu’aucune controverse n’y serait élevée sur notre protectorat religieux, non plus que sur aucune de nos affaires personnelles dans le Levant. En résumé, si nos sentimens étaient quelque peu complexes, d’un côté, il nous était impossible de reculer sans déchéance, et, de l’autre, notre accession à une assemblée aussi solennelle mettait fin à une situation équivoque, nous permet-lait de former et d’entretenir des relations utiles, et en nous conservant notre place dans le cénacle des grandes Puissances, nous faisait rentrer dans le mouvement dont nous ne devions pas être plus longtemps écartés.

Le concours de l’Italie n’était pas moins certain. Sans doute, elle ne cherchait point de bénéfice matériel, mais elle n’avait encore siégé que dans des conférences, et en coopérant à la reconstitution de l’Orient, considéré comme un des élémens indispensables de l’ordre général, elle couronnait l’œuvre de son unité. Assurément le jeune et brillant royaume, parachevé depuis huit ans, n’avait besoin d’aucune confirmation, mais enfin il ne pouvait lui être indifférent d’exercer ses prérogatives dans une telle circonstance, et de prendre part à des délibérations d’une importance si haute pour le présent et l’avenir.

Je n’en dirai pas autant des deux belligérans : la Porte et la Russie. Comme elles avaient l’une et l’autre des sacrifices à subir, elles arrivaient à Berlin résignées peut-être, à coup sûr, fort sombres. Mais l’impulsion des événemens, plus forte que la volonté des hommes, les amenait au rendez-vous, sans qu’il leur fût possible de s’y soustraire. Elles y étaient également contraintes, celle-là par ses revers, et celle-ci par ses victoires. Pour la Turquie, aucun doute possible : tout en sachant bien que l’intervention des Cours chrétiennes lui coûte toujours quelque chose, puisque c’est leur intérêt et non pas le sien qu’elles poursuivent, tout en n’augurant rien de bon d’une discussion sur les nationalités de l’Empire, sur des réformes inconciliables avec son existence, et sur les limites de sa souveraineté réelle ou fictive, la Porte comprenait qu’il ne lui restait aucun autre moyen de réagir contre San Stefano. Le Congrès seul pouvait diminuer