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appartenait à d’autres, et elle était appelée à se départir de la réserve qu’elle observait depuis ses revers, pour coopérer, sous la présidence de l’Allemagne, à une œuvre différente de la sienne. Puis la conduite à tenir était fort embarrassante, entre les réminiscences de l’alliance anglo-turque en Crimée, et nos intérêts présens qui nous imposaient de ménager la Russie. Pendant les quelques jours que j’avais passés à Paris, en revenant de Constantinople et avant de partir pour Berlin, j’avais remarqué dans le sentiment public un certain malaise et une hésitation vague. Toutefois la réflexion avait peu à peu atténué chez nous cette impression de la première heure. Le gouvernement, les Chambres, et avec eux l’opinion publique avaient dominé une tristesse stérile et vu les choses de plus haut. Il nous importait en effet, avant tout, de sortir de l’isolement qui, depuis 1871, sans servir notre cause, entravait notre politique et ne laissait pas que d’être dangereux ; le travail de reconstitution que nous accomplissions à l’intérieur, devait se poursuivre au dehors : il était donc urgent pour nous de ne pas nous renfermer dans une inertie qu’on eût volontiers taxée de découragement et d’impuissance, et de montrer, sur une vaste scène, avec une dignité modeste et ferme, la France confiante en elle-même, soucieuse de ses traditions et reprenant sa place séculaire dans les Conseils de l’Europe. Nous en exclure nous-mêmes, laisser discuter en dehors de nous des questions si étroitement liées à notre histoire, c’eût été renoncer en quelque sorte au droit d’intervention qui n’appartient qu’aux États signataires des pactes internationaux, et nous réduire, soit à une soumission silencieuse, soit à des protestations vaines. Notre susceptibilité malencontreuse eût aggravé ainsi les conséquences de nos désastres : nous eussions eu l’air d’abdiquer. Nous avions au contraire tout intérêt à attester notre vitalité par notre présence, à paraître au Congrès comme une Puissance modératrice, partie intégrante de la souveraineté collective, et décidée à maintenir sa légitime influence. C’était là en réalité la vraie politique française. Et quant à la difficulté de manœuvrer entre les Turcs et les Russes, elle n’était que superficielle. Les uns et les autres ne pouvaient exiger de nous, dans les circonstances données, qu’une effective bienveillance. Nous avions d’ailleurs agi en ce sens, pendant toute la campagne qui venait de finir : tout en ne gardant à Constantinople, par déférence pour la Russie, qu’un chargé d’affaires, nous n’avions cessé de témoigner à la